En Espagne, le gouvernement vient de franchir une étape majeure dans sa volonté de réformer le temps de travail. Après d’intenses négociations avec les partenaires sociaux, un accord a été trouvé avec les principaux syndicats pour faire passer la semaine de travail légale de 40 à 37,5 heures. Une première depuis 1983 qui concerne près de 12 millions de salariés du secteur privé.
Une nouvelle page dans l’histoire sociale de l’Espagne
Pour la ministre du Travail Yolanda Diaz, cet accord «écrit une nouvelle page dans le livre des grandes conquêtes sociales». Selon elle, il est temps de «partager les gains de productivité» avec les travailleurs, afin qu’ils puissent «vivre mieux, moins fatigués». Une vision partagée par les syndicats CCOO et UGT qui ont signé l’accord.
Le chemin fut pourtant semé d’embûches. Initialement prévue dans le programme commun entre socialistes et Sumar (extrême gauche), la réforme prévoyait un passage direct aux 37,5 heures. Un compromis à 38,5 heures dans un premier temps a finalement été trouvé pour ne pas brusquer les entreprises.
Le patronat claque la porte des négociations
Malgré les ajustements, le patronat est resté intransigeant. Après 11 mois de discussions, il a fini par quitter la table des négociations, estimant que ses demandes n’étaient pas suffisamment prises en compte. Les organisations patronales s’inquiètent de l’impact d’une telle mesure sur la compétitivité des entreprises, notamment dans certains secteurs plus fragiles.
Tous les secteurs d’activité ne sont pas logés à la même enseigne. Une baisse généralisée du temps de travail pourrait fragiliser certaines entreprises.
Un représentant du patronat
Le gouvernement se veut rassurant sur la croissance
La ministre du Travail balaye ces arguments d’un revers de main. Elle rappelle que l’économie espagnole est actuellement la plus dynamique des pays de l’OCDE, avec une croissance attendue de 3,1% en 2024 selon la Banque d’Espagne. De quoi absorber sereinement cette réforme selon elle.
Yolanda Diaz se veut confiante et promet d’aller «au bout» du projet. Mais l’accord doit encore passer l’épreuve du Parlement. Et les soutiens ne sont pas légion, y compris au sein de la majorité. Le Parti nationaliste basque et les indépendantistes catalans de JxCat ont déjà fait part de leurs réticences.
Un long chemin parlementaire en perspective
Malgré la signature de l’accord, syndicats et gouvernement restent prudents. «Aujourd’hui est un jour important, mais ce n’est pas la fin», a ainsi tempéré le secrétaire général de CCOO, Unai Sordo. Les prochains mois s’annoncent décisifs pour l’avenir de cette réforme qui divise.
Si elle est adoptée, l’Espagne rejoindrait le peloton de tête des pays européens en termes de temps de travail. Avec 37,5 heures hebdomadaires, elle se rapprocherait du modèle français (35 heures) et allemand (35,6 heures), loin devant le Royaume-Uni (42,5 heures) et la Grèce (44 heures).
Une tendance de fond en Europe et dans le monde
La réduction du temps de travail est un sujet de plus en plus débattu à l’échelle internationale. De nombreux pays expérimentent de nouvelles organisations, comme la semaine de 4 jours. L’Islande a été pionnière en la matière, suivie par l’Écosse, l’Irlande ou encore la Belgique.
Les motivations sont multiples : meilleur équilibre vie pro/vie perso, bien-être des salariés, lutte contre le chômage, transition écologique… Autant d’arguments mis en avant par les défenseurs d’une société « post-travail ». Mais les résistances restent fortes, au nom de la sacro-sainte compétitivité.
L’Espagne sera donc scrutée de près. Si elle parvient à concilier réduction du temps de travail et dynamisme économique, elle pourrait faire des émules. Une chose est sûre : le débat ne fait que commencer, en Europe et dans le monde. À suivre de près dans les prochains mois…