Imaginez devoir étouffer vos propres cris de douleur avec une éponge enfoncée dans votre bouche par vos tortionnaires. C’est le supplice qu’a enduré Ephrem Minassie, un Érythréen qui a tenté d’échapper au service militaire obligatoire en fuyant son pays. Son crime ? Avoir osé dire à d’autres soldats que la guerre qu’ils menaient était futile.
Pour cette opinion subversive, Ephrem a été jeté en prison dès 2001, sans aucune forme de procès. Pendant deux mois, il a été détenu dans des conditions sordides dans la région de Gash Bark, au sud-ouest de l’Érythrée. Au menu de ses geôliers : une eau croupie, une ration de pain et de thé trois fois par jour. De quoi maintenir les détenus en « vie », à défaut de les garder en bonne santé.
Mais la faim et la soif étaient loin d’être les pires souffrances infligées à Ephrem et ses codétenus. Les mauvais traitements et la torture étaient monnaie courante. « Avec d’autres prisonniers, nous étions régulièrement frappés avec des matraques électriques sur différentes parties du corps, surtout dans le dos », raconte-t-il. Les femmes n’étaient pas épargnées : la plupart, incarcérées pour avoir tenté de fuir le pays, subissaient des viols.
Un témoignage glaçant
J’ai enduré des passages à tabac et des tortures régulières, des coups dans les jambes, pendant environ une heure par jour.
– Ephrem Minassie, ancien prisonnier érythréen
Libéré en 2006, Ephrem a tenté sa chance en fuyant au Soudan voisin, avant d’être arrêté par des militaires soudanais à Khartoum et remis aux autorités de son pays. S’en suivront six longues années d’incarcération, de transferts entre différentes prisons, et de tortures quotidiennes. « J’ai enduré des passages à tabac et des tortures régulières, des coups dans les jambes, pendant environ une heure par jour », témoigne cet homme qui a finalement trouvé refuge à Addis-Abeba, en Éthiopie.
Un pays transformé en véritable goulag
Depuis son indépendance de l’Éthiopie en 1993, l’Érythrée est dirigée d’une main de fer par le président Issaias Afeworki. Cet ancien héros de la lutte pour l’indépendance a mis en place un régime totalitaire où toute voix dissidente est impitoyablement réprimée. Les civils sont enrôlés de force dans l’armée ou contraints aux travaux forcés, dans le cadre d’un service national que l’ONU assimile à de l’esclavage moderne.
Les opposants, eux, disparaissent dans un vaste réseau de prisons secrètes, un véritable goulag à l’érythréenne. « La torture et les traitements inhumains ou dégradants en détention sont systématiques en Érythrée », confirme Mohamed Abdelsalam Babiker, rapporteur spécial auprès de l’ONU sur les droits de l’homme dans ce pays. Certains détenus seraient enfermés dans des conteneurs en plein désert, exposés à des températures extrêmes. Une situation qui ne fait qu’empirer, selon l’expert onusien en poste depuis 2020.
Persécutions religieuses
Les persécutions ne visent pas uniquement les opposants politiques, mais aussi les minorités religieuses. Daniel Hagos, un chrétien évangéliste, en a fait la douloureuse expérience. Arrêté en 2014 avec deux autres personnes pour « avoir prêché l’Évangile », il a été détenu pendant quatre ans dans une prison souterraine « à l’atmosphère suffocante, infestée de rats et de serpents ». Frappé à coups de câbles en cuivre, le quadragénaire en garde des séquelles à vie. « J’ai de la chance d’être en vie, d’autres prisonniers que je connais sont morts », dit-il depuis son exil éthiopien.
De son côté, Goitom Abreha raconte avoir été arrêté et torturé en raison de sa foi. Après sa libération, cet homme était « déterminé à quitter le pays dès qu’une occasion se présenterait ». Cette opportunité est arrivée en 2018, suite à un accord de paix entre l’Éthiopie et l’Érythrée qui a temporairement ouvert les frontières. Goitom vit désormais à Addis-Abeba avec sa famille.
Un espoir de changement ?
Malgré ces témoignages glaçants, l’Érythrée reste l’un des pays les plus fermés et répressifs au monde. Classé dernier en matière de liberté de la presse et de développement humain, ce petit État de la Corne de l’Afrique semble indifférent aux critiques internationales. Les défenseurs des droits humains ne désespèrent pas pour autant. Ils continuent inlassablement de documenter les exactions, dans l’espoir qu’un jour, les responsables de ces atrocités soient traduits en justice.
Pour Goitom, le changement viendra de l’intérieur. « Un jour, dès que les droits seront respectés », il pourra retourner dans son pays. Mais il en est conscient : « Ce n’est pas pour tout de suite ». En attendant, lui et des milliers d’autres Érythréens n’ont d’autre choix que de vivre en exil, hantés par les souvenirs des horreurs subies dans les geôles de la dictature.