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Érythrée : La Peur d’une Nouvelle Guerre avec l’Éthiopie

À Asmara, on prie pour que la guerre n’éclate pas à nouveau. Anciens combattants et mères de famille racontent la terreur qui s’installe face aux menaces éthiopiennes. Et si le pire arrivait encore une fois ?

Imaginez vivre dans un pays où la simple idée d’une nouvelle guerre fait trembler toute une population. En Érythrée, c’est la réalité quotidienne de millions de personnes. Un homme d’une quarantaine d’années, que nous appellerons Tewolde pour protéger son identité, confie qu’il prie chaque jour pour que le pire n’arrive pas.

Un pays sous haute tension

Depuis plusieurs mois, les relations entre l’Érythrée et l’Éthiopie se dégradent à vue d’œil. Ce qui avait commencé par un rapprochement spectaculaire en 2018, couronné par un prix Nobel de la paix, s’est transformé en hostilité ouverte. Aujourd’hui, les deux voisins de la Corne de l’Afrique semblent au bord du gouffre.

Les accusations fusent de part et d’autre. L’Éthiopie reproche à son voisin du nord de se préparer activement à une offensive. L’Érythrée, elle, dénonce des mensonges et assure que l’Éthiopie, pays enclavé, convoite son accès à la mer Rouge, notamment le port d’Assab.

Des cicatrices qui ne cicatrisent pas

Pour comprendre la peur actuelle, il faut remonter à la guerre de 1998-2000. Ce conflit frontalier avait coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes des deux côtés. Vingt-cinq ans plus tard, les souvenirs restent vif.

Tewolde se souvient parfaitement. Il avait alors une vingtaine d’années quand il a été envoyé au front. « Nous avons déjà vécu cela et nous savons que les pertes sont lourdes », dit-il d’une voix grave. Comme beaucoup d’Érythréens, il a perdu des proches, des amis, des voisins.

« Nous ne voulons pas de cette guerre. Car si elle éclate, beaucoup de gens partiront au front. Et comme auparavant, beaucoup d’enfants perdront leur père, les mères perdront leur mari, les parents perdront leurs enfants. »

Tewolde, habitant d’Asmara

Cette phrase résume le sentiment général. Personne ne veut revivre l’enfer. Pourtant, l’histoire semble se répéter inlassablement dans cette région tourmentée.

Le traumatisme du Tigré

Le plus récent chapitre sanglant remonte à peine à 2022. Pendant deux ans, l’armée érythréenne a combattu aux côtés des forces fédérales éthiopiennes contre les rebelles du Tigré. Une alliance contre-nature pour beaucoup d’observateurs.

Mehari, la trentaine, y était. Il en est revenu changé à jamais. « J’ai développé une aversion totale pour la guerre », confie-t-il. Les images des combats, les exactions, les villages rasés… tout cela le hante encore.

Pendant ce conflit, l’armée érythréenne a été particulièrement pointée du doigt pour des crimes de guerre. Des rapports internationaux parlent de massacres, de viols systématiques, de pillages. Des accusations que le régime d’Asmara a toujours rejetées en bloc.

Un peuple pris en étau

Aujourd’hui, les Érythréens se sentent coincés entre deux feux. D’un côté, un régime autoritaire qui dure depuis plus de trente ans. De l’autre, un voisin puissant qui semble prêt à tout pour récupérer un accès à la mer.

Le service national obligatoire illimité reste le cauchemar de toute une jeunesse. Officiellement destiné à défendre le pays, il est dénoncé comme une forme d’esclavage moderne par les Nations Unies. Des centaines de milliers de jeunes fuient chaque année vers le Soudan ou même… l’Éthiopie, l’ennemi désigné.

« Les jeunes fuient en masse vers l’Éthiopie, considérée comme un ennemi par le gouvernement, et vers le Soudan pour éviter une éventuelle guerre », témoigne Mehari.

Des familles dans l’angoisse

Luwan a quitté le pays il y a plusieurs années. Elle vit désormais dans un autre pays d’Afrique de l’Est dont elle refuse de donner le nom, par peur des représailles contre sa famille restée sur place.

Elle reste en contact permanent avec les siens. Ce qu’elle entend l’effraie au plus haut point. Récemment, un proche a été convoqué à une réunion. Le message était clair : préparez-vous, ainsi que vos fils et vos filles, car la guerre pourrait éclater.

« Certaines mères présentes à cette réunion n’ont toujours pas de nouvelles de leurs enfants partis faire la guerre au Tigré et on leur demande une nouvelle fois d’envoyer leurs enfants au front. »

Luwan, exilée érythréenne

Cette réalité est insoutenable pour beaucoup. Des femmes qui n’ont pas revu leurs enfants depuis des années se voient demander de nouveaux sacrifices. Le cycle infernal de la guerre semble sans fin.

Un régime sourd à la souffrance

Depuis 1993, un seul homme dirige l’Érythrée d’une main de fer : Issaias Afwerki. Aucune élection, aucune opposition, aucune presse libre. Le pays est régulièrement comparé à une immense prison à ciel ouvert.

Dans ce contexte, exprimer sa peur publiquement est impossible. Même les témoignages recueillis pour cet article ont dû transiter par des intermédiaires, avec des prénoms d’emprunt. Le risque est trop grand.

Le ministère de l’Information n’a d’ailleurs pas répondu aux questions posées sur le climat actuel et le moral de la population. Un silence qui en dit long.

Entre deux maux

Pour beaucoup d’observateurs, le peuple érythréen est pris dans un étau infernal. D’un côté Issaias Afwerki, indifférent au sort de sa population. De l’autre Abiy Ahmed, accusé de ne penser qu’à son propre pouvoir et à son héritage.

Un ancien militant indépendantiste aujourd’hui en exil résume parfaitement la situation : les Érythréens ne veulent pas la guerre, mais ils refusent aussi de vivre sous domination éthiopienne. Les souvenirs des exactions passées sont trop vifs.

Cette position impossible crée une angoisse permanente. La jeunesse rêve d’exil. Les plus âgés prient pour que le cauchemar s’arrête enfin.

Un accès à la mer qui cristallise les tensions

Au cœur du différend actuel : la question de l’accès à la mer. Depuis la séparation d’avec l’Éthiopie en 1993, ce pays de 130 millions d’habitants est enclavé. Tous ses échanges commerciaux passent par Djibouti, à des coûts exorbitants.

Le port érythréen d’Assab, à peine utilisé, fait rêver Addis-Abeba. Des déclarations officielles éthiopiennes laissent entendre que toutes les options sont sur la table, y compris militaires, pour récupérer un débouché maritime.

Côté érythréen, on y voit une menace existentielle. Perdre Assab signifierait perdre l’un des rares atouts économiques du pays. Et surtout, raviver le trauma de la domination passée.

Une jeunesse qui fuit

Face à cette situation explosive, des milliers de jeunes choisissent l’exil. Traverser la frontière vers le Soudan ou tenter la dangereuse route vers l’Europe via la Libye. Beaucoup meurent en chemin.

Ceux qui restent vivent dans la peur permanente d’être mobilisés. Les rumeurs de guerre déclenchent des vagues de départs. Les familles se déchirent entre ceux qui restent et ceux qui tentent l’impossible.

Paradoxalement, certains fuient… vers l’Éthiopie. L’ennemi d’hier devient parfois un refuge face à l’oppression quotidienne.

Un miracle espéré

Dans ce climat lourd, beaucoup n’ont plus que la foi. Tewolde prie. D’autres espèrent un hypothétique changement de régime. Ou une intervention internationale qui désamorcerait la crise.

Luwan, depuis son exil, se dit désespérée. « Seul un miracle pourrait mettre fin à ce cauchemar », souffle-t-elle. Un sentiment partagé par des millions d’Érythréens qui ne demandent qu’à vivre en paix.

Dans les rues d’Asmara, la vie continue malgré tout. Les marchés, les cafés, les églises. Mais sous la surface, l’angoisse est palpable. Chaque nouvelle déclaration d’Addis-Abeba ou d’Asmara fait craindre le pire.

La Corne de l’Afrique retient son souffle. Une région déjà marquée par des décennies de conflits, de famines, de déplacements de population. Une nouvelle guerre serait une catastrophe humanitaire aux proportions inimaginables.

Pour l’instant, la guerre n’a pas éclaté. Mais dans le cœur de millions d’Érythréens, elle a déjà commencé. La guerre de la peur, de l’incertitude, du traumatisme jamais guéri.

Et demain ? Personne n’ose y penser vraiment. On prie. On espère. On survit. En attendant le prochain chapitre d’une histoire qui semble ne jamais vouloir s’achever pacifiquement.

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