Les relations entre la Turquie et la Syrie pourraient connaître un tournant historique. Lors d’un entretien avec des journalistes à bord de son avion présidentiel, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré qu’il pourrait inviter “à tout moment” son homologue syrien Bachar al-Assad en Turquie. Une annonce qui suscite de nombreuses interrogations sur l’avenir des relations entre Ankara et Damas, brouillées depuis le début de la guerre en Syrie en 2011.
Un geste fort après des années de tensions
Depuis le début du conflit syrien il y a plus de 12 ans, la Turquie a été l’un des principaux soutiens de l’opposition à Bachar al-Assad, accueillant sur son sol des millions de réfugiés ainsi que des groupes rebelles. Ankara a longtemps réclamé le départ du dirigeant syrien, l’accusant de mener une répression sanglante contre son propre peuple. De son côté, Damas a dénoncé l’ingérence turque dans ses affaires intérieures.
Mais ces derniers mois, des signes de rapprochement sont apparus entre les deux pays. En mai, les ministres des Affaires étrangères turc et syrien se sont rencontrés pour la première fois depuis 2011, en marge d’un sommet régional à Moscou. Cette rencontre avait été présentée comme un pas vers la normalisation des relations bilatérales.
Les enjeux d’une possible rencontre Erdogan-Assad
L’invitation lancée par Erdogan à Assad est un nouveau signe fort envoyé par Ankara. Si cette rencontre se concrétise, elle marquerait un tournant majeur dans les relations turco-syriennes et aurait des répercussions importantes sur les équilibres régionaux :
- Pour la Turquie, une normalisation avec la Syrie permettrait de réduire les tensions à sa frontière et de trouver une issue à la question des réfugiés syriens, dont la présence est de plus en plus contestée par la population.
- Pour Damas, un rapprochement avec Ankara serait une victoire diplomatique et un pas de plus vers la réintégration de la Syrie dans le jeu régional et international, après des années d’isolement.
- Pour les acteurs régionaux comme l’Iran et la Russie, alliés de Damas, un réchauffement turco-syrien serait également une bonne nouvelle, renforçant le camp pro-Assad.
La balle est désormais dans le camp de Bachar al-Assad. Acceptera-t-il l’invitation d’Erdogan ? À quelles conditions ? Les négociations s’annoncent complexes mais l’enjeu est de taille : tourner la page d’une décennie de conflit et ouvrir un nouveau chapitre dans les relations entre les deux voisins.
Des obstacles persistent sur la voie de la réconciliation
Malgré ces signaux positifs, le chemin vers une pleine normalisation des relations entre Ankara et Damas reste semé d’embûches. Plusieurs points de friction demeurent, notamment :
- La présence de groupes rebelles soutenus par la Turquie dans le nord-ouest de la Syrie, que le régime syrien considère comme des “terroristes” et veut éradiquer.
- Le sort des réfugiés syriens en Turquie, qu’Ankara souhaite renvoyer chez eux mais dont Damas redoute le retour massif.
- L’avenir politique de la Syrie et la place de Bachar al-Assad, que la Turquie a longtemps voulu voir partir mais avec lequel elle semble désormais prête à composer.
Pour surmonter ces obstacles, Ankara et Damas devront faire preuve de pragmatisme et de concessions réciproques. La Russie, principal allié de Damas et interlocuteur d’Ankara, pourrait jouer un rôle de médiateur dans ce processus.
Vers un nouveau paysage géopolitique au Moyen-Orient ?
Au-delà des relations bilatérales, un rapprochement turco-syrien aurait des conséquences majeures sur les équilibres géopolitiques régionaux. Il pourrait favoriser une recomposition des alliances et des rapports de force, avec des gagnants et des perdants :
- La Russie et l’Iran, alliés de Damas, verraient leur influence renforcée dans la région.
- Les groupes rebelles syriens et les Kurdes, soutenus par la Turquie, pourraient être les grands perdants d’un compromis entre Ankara et Damas.
- Les pays arabes qui ont misé sur la chute d’Assad, comme l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, devraient également revoir leur positionnement.
- Les Etats-Unis, qui ont des troupes en Syrie et des alliés kurdes, risqueraient d’être marginalisés dans ce nouveau paysage.
Une réconciliation turco-syrienne redistribuerait donc les cartes au Moyen-Orient. Mais elle ouvrirait aussi de nouvelles perspectives pour un règlement politique du conflit syrien et une stabilisation de la région. Reste à savoir si Ankara et Damas sauront saisir cette opportunité historique et surmonter les défis qui les attendent sur cette voie.