Imaginez un matin ordinaire qui bascule en cauchemar : des centaines de policiers envahissent votre domicile pour arrêter votre conjoint sous vos yeux et ceux de vos enfants. C’est la réalité qu’a vécue Dilek Kaya Imamoglu le 19 mars dernier, lorsque son mari, Ekrem Imamoglu, maire d’Istanbul, a été emmené menottes aux poignets.
Nine mois plus tard, cette femme de 51 ans porte la voix de son époux détenu et alerte sur une démocratie qu’elle juge gravement atteinte en Turquie. Son témoignage, émouvant et résolu, rappelle que derrière les grands titres politiques se cachent des familles brisées par l’arbitraire.
Une arrestation qui a choqué la Turquie entière
Ce jour-là, Dilek Imamoglu regarde par la fenêtre et voit un impressionnant dispositif policier. Son cœur s’emballe. L’inquiétude se lit dans les yeux de ses enfants. Pourtant, face à cette violence institutionnelle, son mari trouve les mots pour les rassurer : garder la tête haute et ne jamais perdre espoir.
Au lieu de se résigner, la famille choisit la lutte. Dilek devient alors la porte-parole d’un homme considéré comme le principal adversaire politique du président Recep Tayyip Erdogan. Ekrem Imamoglu, membre éminent du CHP, le principal parti d’opposition, a même été désigné candidat pour la présidentielle de 2028.
Son incarcération a déclenché les plus importantes manifestations depuis 2013, signe que l’opinion publique refuse de se laisser museler.
Des accusations vertigineuses
Les autorités accusent Ekrem Imamoglu de diriger un vaste réseau criminel, comparé à une « pieuvre » tentaculaire. Corruption, blanchiment d’argent : la liste est longue. Pas moins de 142 chefs d’inculpation pèsent sur lui, avec une peine potentielle cumulée astronomique de plus de 2 400 ans de prison.
Le procès doit s’ouvrir le 9 mars prochain dans un contexte où l’indépendance de la justice est largement remise en question. Pour Dilek Imamoglu, ces poursuites relèvent davantage de la répression politique que d’une véritable quête de vérité.
Elle insiste : on ne peut faire taire la conscience collective. Ces épreuves, loin de la plonger dans le désespoir, renforcent au contraire la solidarité autour de son mari.
« On ne peut pas faire taire la conscience publique. Ces épreuves ne me portent pas au désespoir mais à la solidarité. J’ai confiance dans la volonté et la conscience du peuple. »
Dilek Kaya Imamoglu
La vie derrière les barreaux de Silivri
Ekrem Imamoglu est détenu à la prison de Silivri, la plus grande de Turquie, située à l’ouest d’Istanbul. Sa famille bénéficie d’une visite hebdomadaire. Ces moments sont à la fois précieux et lourds émotionnellement.
Malgré l’enfermement, l’ancien maire reste actif intellectuellement. Il lit, réfléchit à l’avenir du pays et travaille. Sa liberté, dit-il, réside dans sa tête. Les milliers de messages de soutien, lettres et marques d’affection lui procurent une force immense.
Il se sent porté par des millions de personnes, loin d’être isolé. Cette vague de solidarité transcende les murs de la prison et nourrit son moral au quotidien.
Une démocratie en danger selon Dilek Imamoglu
Pour l’épouse du maire, le constat est sans appel : la démocratie turque a été « profondément blessée ». Liberté de la presse, indépendance judiciaire, droits fondamentaux : tout est sous pression constante.
Cette situation témoigne d’une dérive autoritaire inquiétante. Les opposants sont réprimés, les rivaux politiques emprisonnés. Ekrem Imamoglu n’est pas un cas isolé.
D’autres figures emblématiques croupissent en prison depuis des années, comme Selahattin Demirtas, ancien coprésident du parti pro-kurde, ou le philanthrope Osman Kavala. Dilek Imamoglu exprime sa solidarité avec leurs familles, partageant leur patience et leur résilience.
« Je partage aujourd’hui la patience et la résilience des épouses de Selahattin Demirtas et d’Osman Kavala. L’endurance des familles de ceux qui sont injustement et illégalement privés de leur liberté me guide, car nous ne sommes pas seuls. »
Dilek Kaya Imamoglu
Le silence décevant de l’Europe
Un point particulièrement douloureux pour Dilek Imamoglu : le mutisme des pays européens. Alors que des millions de Turcs voient leur volonté bafouée, ceux qui se revendiquent défenseurs de la démocratie choisissent souvent le silence.
Cette attitude déçoit profondément. Les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour constitutionnelle turque sont ignorées. La Constitution elle-même n’est plus pleinement appliquée. L’illégalité tend à se normaliser.
Dans ce contexte, prédire l’issue du procès apparaît impossible. Pourtant, Dilek garde espoir en une justice équitable et en un acquittement qui bénéficierait à l’ensemble des 86 millions de citoyens turcs.
Une femme sous les projecteurs malgré elle
Depuis l’arrestation, Dilek Imamoglu s’est retrouvée propulsée sur le devant de la scène. Elle participe à des rassemblements, rencontre les familles d’autres responsables politiques emprisonnés et relaie inlassablement le message de son mari.
Cette exposition médiatique n’était pas prévue. Elle précise d’ailleurs que la politique, chez eux, c’est l’affaire d’Ekrem. Elle écarte toute idée d’entrer elle-même en politique, préférant se concentrer sur son rôle de soutien et de porte-voix.
Son engagement actuel découle directement de la situation : faire entendre la voix de celui qui ne peut plus s’exprimer librement.
Les signes d’une érosion démocratique en Turquie
- Pression constante sur la liberté de la presse
- Indépendance judiciaire fortement remise en cause
- Emprisonnement prolongé de figures de l’opposition
- Ignorer des arrêts de cours internationales
- Normalisation progressive de pratiques illégales
L’espoir chevillé au corps
Malgré la dureté de la situation, Dilek Imamoglu refuse le désespoir. Son principal message, comme celui de son mari, est de ne jamais perdre espoir. Elle tire sa force de la conscience collective du peuple turc.
Elle est convaincue que cette conscience finira par l’emporter. Les épreuves renforcent la solidarité plutôt que d’affaiblir les résistances. Les messages de soutien affluent, prouvant que la famille n’est pas seule.
Cette vague d’empathie transcende les clivages et unit ceux qui aspirent à une Turquie plus démocratique.
Les visites en prison, bien que chargées émotionnellement, sont aussi des moments de reconnexion. Elles rappellent que, derrière les barreaux, Ekrem Imamoglu continue de penser à l’avenir du pays.
Sa liberté intérieure reste intacte. Il puise son énergie dans le soutien massif qu’il reçoit. Cette force collective le porte et lui permet de résister jour après jour.
Un combat qui dépasse la sphère familiale
L’histoire d’Ekrem et Dilek Imamoglu dépasse largement leur cadre personnel. Elle illustre les tensions profondes qui traversent la société turque contemporaine. D’un côté, un pouvoir qui cherche à consolider son emprise. De l’autre, une opposition déterminée à défendre les acquis démocratiques.
Les manifestations massives qui ont suivi l’arrestation montrent que l’opinion publique reste mobilisée. Beaucoup refusent de voir leur choix électoral bafoué par des procédures judiciaires perçues comme instrumentalisées.
Le CHP, en désignant Ekrem Imamoglu comme candidat pour 2028, envoie un signal fort : l’opposition ne se laissera pas intimider.
Dans ce contexte tendu, le rôle des familles devient crucial. Elles portent la voix de ceux qui sont réduits au silence. Elles maintiennent vivante l’espérance d’un retour à l’État de droit.
Dilek Imamoglu incarne cette résilience quotidienne. Son témoignage rappelle que la lutte pour la démocratie passe aussi par ces combats intimes, menés dans l’ombre des prisons.
En refusant le découragement, elle contribue à maintenir allumée la flamme de l’espoir pour des millions de Turcs qui aspirent à un avenir plus juste.
Le procès à venir sera un moment décisif. Quelle que soit son issue, il marquera incontestablement l’histoire politique récente du pays.
Mais au-delà du verdict, c’est la capacité de la société turque à se mobiliser pacifiquement qui déterminera l’avenir. Dilek Imamoglu en est convaincue : la conscience collective finira par prévaloir.
Son message, simple et puissant, résonne comme un appel à ne jamais baisser les bras face à l’adversité.
« Ma liberté est dans ma tête », répète Ekrem Imamoglu à sa famille. Une phrase qui résume toute la dignité face à l’oppression.
Cette histoire nous interpelle tous. Elle nous rappelle la fragilité des démocraties et le prix à payer pour les défendre. En Turquie comme ailleurs, la vigilance reste de mise.
Derrière les grands discours, il y a des femmes comme Dilek, des enfants qui grandissent dans l’incertitude, des familles qui résistent avec dignité. Leur courage mérite d’être entendu et soutenu.
L’espoir, conclut Dilek Imamoglu, vient de la solidarité et de la confiance dans le peuple. Un message universel qui traverse les frontières et les épreuves.









