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Enfants Ukrainiens Déportés jusqu’en Corée du Nord

Deux enfants ukrainiens, l’un de Crimée, l’autre du Donetsk occupé, auraient été envoyés à 9 000 km de chez eux… dans un camp nord-coréen. On leur apprend à appris à « détruire les militaristes japonais » et à vénérer ceux qui ont attaqué un navire américain en 1968. Jusqu’où ira cette histoire glaçante ?

Imaginez un enfant de dix ans arraché à sa maison, placé dans un avion, puis dans un train pendant des jours, pour finalement se retrouver à 9 000 kilomètres de chez lui, dans un pays fermé au monde, entouré de soldats et de slogans hostiles à l’Occident. Cette scène n’est pas tirée d’un roman dystopique. Elle serait, selon Kiev, la réalité de certains enfants ukrainiens emmenés jusqu’en Corée du Nord.

Une accusation qui franchit un nouveau cap

Jeudi, le médiateur ukrainien pour les droits humains, Dmytro Loubinets a révélé posséder de nouvelles informations selon lesquelles des enfants enlevés dans les territoires occupés seraient envoyés dans des camps de « rééducation » en Corée du Nord. Objectif affiché : les soumettre à une russification et une militarisation forcées.

« Chaque enfant doit être retrouvé, protégé et ramené chez lui », a-t-il insisté. « Les enfants ukrainiens ne peuvent pas être des armes entre les mains de l’agresseur. »

165 camps recensés, dont certains à l’étranger

La veille, lors d’une audition devant le Sénat américain, Kateryna Rachevska, responsable de l’ONG Regional Center for Human Rights, avait déjà dressé un tableau terrifiant. Son organisation a identifié 165 lieux qualifiés de « camps de rééducation » pour enfants ukrainiens déportés.

Ces structures se trouvent :

  • dans les territoires ukrainiens sous occupation russe,
  • en Russie même,
  • au Bélarus,
  • et, désormais, en Corée du Nord.

Parmi les cas documentés, deux enfants particulièrement éloignés de leur foyer retiennent l’attention.

Songdowon, le camp où l’on célèbre l’attaque du Pueblo

L’un vient de Crimée annexée en 2014, l’autre de la partie du Donetsk contrôlée par les forces russes. Ils auraient été transférés au camp de Songdowon, sur la côte est de la Corée du Nord.

Là-bas, selon le témoignage rapporté au Sénat, les enfants auraient suivi un programme où on leur enseignait à « détruire les militaristes japonais » et où ils ont rencontré des vétérans nord-coréens ayant participé, en 1968, à la saisie du navire espion américain USS Pueblo – un épisode qui avait failli déclencher une guerre entre Washington et Pyongyang.

« On y enseignait aux enfants à détruire les militaristes japonais et ils ont rencontré des anciens combattants qui avaient attaqué en 1968 le navire Pueblo de l’US Navy »

Kateryna Rachevska, Regional Center for Human Rights

Cette révélation donne une dimension nouvelle à la pratique de déportation : non seulement les enfants sont éloignés de leur culture, mais ils sont immergés dans une idéologie hostile à l’Ukraine et à ses alliés.

Des chiffres qui donnent le vertige

Depuis le début de l’invasion à grande échelle en février 2022, l’Ukraine estime qu’au moins 20 000 enfants ont été emmenés de force hors de leur pays ou dans des zones sous contrôle russe. À ce jour, seuls 1 850 ont pu être rapatriés.

Beaucoup ont été placés dans des familles russes, d’autres dans des institutions. Certains ont même vu leur identité officiellement modifiée.

20 000 enfants ukrainiens déportés déclarés
1 850 seulement revenus
165 camps de « rééducation » recensés
4 pays impliqués (territoires occupés, Russie, Bélarus, Corée du Nord)

La réponse internationale

En mars 2023, la Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine et la commissaire russe aux droits de l’enfant Maria Lvova-Belova pour « déportation illégale » d’enfants ukrainiens. C’est la première fois qu’un chef d’État en exercice d’un membre permanent du Conseil de sécurité est visé par un tel mandat.

Mercredi, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution appelant au « retour immédiat et inconditionnel » de tous les enfants transférés de force vers la Russie. Un texte non contraignant, mais qui pèse dans les négociations en cours.

La version russe : « Nous les avons sauvés »

Moscou continue de nier toute déportation. Les autorités russes affirment avoir « évacué » ces enfants pour les protéger des combats et avoir mis en place des procédures pour les réunir avec leurs familles si celles-ci le demandent.

Mais de nombreux parents témoignent que les démarches sont volontairement complexes, que les enfants sont parfois déclarés orphelins alors que leurs parents sont vivants, ou qu’on leur refuse l’accès aux dossiers.

Pourquoi la Corée du Nord ?

L’implication présumée de Pyongyang dans cette affaire reste la plus troublante. Plusieurs hypothèses circulent :

  1. Un renforcement de l’axe Moscou-Pyongyang, scellé par la visite de Kim Jong-un en Russie et les livraisons d’armes nord-coréennes.
  2. Une volonté de montrer que la Russie peut compter sur des alliés prêts à aller très loin.
  3. Une forme d’expérimentation idéologique extrême sur des enfants considérés comme « matériel humain ».

Quoi qu’il en soit, l’idée qu’un régime aussi fermé que la Corée du Nord participe à ce que l’Ukraine qualifie de génocide culturel choque jusqu’aux chancelleries les plus prudentes.

Un sujet explosif dans les négociations

Le sort de ces enfants est devenu l’un des points les plus sensibles dans les discussions, pourtant très embryonnaires, sur une éventuelle sortie de conflit. Kiev pose leur retour comme condition préalable à toute discussion sérieuse. Moscou, lui, refuse catégoriquement de reconnaître le caractère illégal de ces transferts.

Dans ce bras de fer, chaque histoire d’enfant retrouvé ou, au contraire, découvert dans un camp lointain, fait l’effet d’une bombe médiatique et diplomatique.

Au-delà des chiffres et des déclarations officielles, il y a des milliers de familles qui attendent, espèrent, parfois désespèrent. Des mères qui n’ont plus de nouvelles depuis des années. Des grands-parents qui scrutent chaque photo publiée par les associations. Des enfants qui grandissent loin de leur langue, de leurs souvenirs, de leurs racines.

Et maintenant, l’image insoutenable de petits Ukrainiens saluant le portrait de Kim Jong-un à 9 000 kilomètres de chez eux.

Cette guerre ne se joue pas seulement sur le front. Elle se joue aussi dans l’enfance volée d’un peuple.

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