Au cœur de Kiev, les basses pulsent et les stroboscopes dansent sur les visages concentrés. Pour Bogdana, 23 ans, cette soirée électro est un répit bienvenu. Huit mois après la perte de son père au front, la jeune femme s’autorise enfin une pause dans son deuil. « Je savais que ce serait une soirée caritative avec des gens que je respecte », confie-t-elle. « Je pouvais donc venir et décharger mes émotions, juste pendant une journée. »
Organisée le 9 novembre dernier, cette rave party pas comme les autres avait un objectif : récolter des fonds pour la 3e Brigade d’Assaut. Formée en 2022 par des combattants ultranationalistes ukrainiens, cette unité jouit d’une solide réputation. En première ligne dans les zones les plus dangereuses, elle mène aussi d’intenses campagnes de communication pour gagner en visibilité.
Un mélange détonnant de fête et d’armée
Dans la salle, l’ambiance est électrique. Les fêtards peuvent tester un simulateur de vol de drone ou acheter des produits dérivés de la 3e Brigade d’Assaut. Certains jeunes arborent même les couleurs de Centuria, un groupe ultranationaliste. Ce curieux mélange illustre le paradoxe de la jeunesse ukrainienne, tiraillée entre l’envie de vivre et l’omniprésence de la mort.
La vie est toujours là en Ukraine, elle palpite, notre sang palpite.
Bogdana Loukiantchouk, participante à la soirée
Des jeunes en quête de sens
Face à la violence du conflit, certains jeunes trouvent un refuge émotionnel auprès d’organisations nationalistes. Bogdana, elle, est venue avec des amies rencontrées lors de formations au maniement des armes et aux premiers secours. Elle redoute que d’autres oublient cette guerre qui lui a tant pris. Pourtant, la ferveur patriotique des débuts s’émousse au fil des mois et des pertes.
La 3e Brigade d’Assaut, experte en communication
Consciente de ces enjeux, la 3e Brigade d’Assaut mise sur une communication ciblée pour toucher la jeunesse. Ses contenus calibrés, entre scènes de combat intenses et histoires d’amour guerrier, sont relayés massivement sur les réseaux sociaux. Une stratégie payante : l’unité y est très suivie.
On implique doucement les jeunes. On ne le fait pas à coups de propagande lourde mais plutôt via le divertissement, c’est comme ça qu’on développe leur loyauté.
Viktor Mazour, organisateur de la rave party
Une génération sacrifiée ?
Si la militarisation de la société semble inévitable en temps de guerre, la psychologue Marianna Tkalytch s’inquiète pour l’avenir. Selon elle, tout dépendra de la capacité de l’État à prendre en charge cette génération traumatisée une fois la paix revenue.
Il y aura des jeunes qui n’ont pas trouvé de sens dans d’autres sphères et qui n’ont pas eu de vie normale. La génération qui grandit actuellement est celle des enfants de la guerre.
Marianna Tkalytch, psychologue
Un constat qui résonne chez Iouri, 14 ans. Membre de Centuria, il n’était qu’un enfant quand la guerre a débuté en 2014. Dès sa majorité, il compte s’engager dans l’armée, avec ou sans le soutien de sa famille. Un destin que risquent de partager de nombreux jeunes ukrainiens, pris entre le fracas des armes et la soif de vivre.