Dans une Syrie en pleine mutation, le nouveau pouvoir issu du renversement de Bachar al-Assad semble vouloir marquer une rupture avec le passé. Mais les récentes promotions d’ex-rebelles, dont certains jihadistes étrangers, à des postes d’officiers au sein de la future armée nationale, soulèvent bien des questions et des inquiétudes.
Des rebelles et jihadistes propulsés à des postes clés
Selon un décret publié dimanche soir par le nouveau dirigeant syrien Ahmad al-Chareh, pas moins de 49 ex-rebelles ont été nommés à des grades d’officiers supérieurs au sein de l’armée en reconstruction. Si la majorité sont des Syriens, anciens officiers déserteurs ou chefs de groupes rebelles, on retrouve aussi dans cette liste plusieurs jihadistes étrangers ayant combattu contre le régime Assad.
D’après l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), au moins six jihadistes non syriens figurent parmi les promus, notamment un Albanais, un Jordanien, un Tadjik, un Ouïghour de Chine et un Turc membre de Hayat Tahrir al-Cham (HTS), le groupe qui a mené la coalition rebelle à la victoire. Les experts s’interrogent sur les motivations et les conséquences d’une telle décision.
Un prix à payer pour la stabilité ?
Pour Rami Abdel Rahmane, directeur de l’OSDH, ces nominations concernent avant tout des proches du nouveau dirigeant Al-Chareh. Ce dernier avait annoncé la semaine dernière un accord avec « tous les groupes armés » pour leur intégration sous l’égide du ministère de la Défense, afin de « garantir la sécurité et la stabilité » du pays.
Mais en plaçant d’anciens chefs rebelles et jihadistes étrangers à des postes clés de la hiérarchie militaire, le nouveau régime ne risque-t-il pas au contraire de fragiliser encore plus une Syrie exsangue après des années de guerre civile ? Pour beaucoup d’observateurs, il s’agit sans doute d’un compromis nécessaire dans l’immédiat pour acheter la paix et lancer la reconstruction du pays.
L’armée comme outil de la transition politique
Le décret de promotion, qui évoque un objectif de « développement et de modernisation » des forces armées, constitue une première étape dans le processus d’intégration et d’unification des groupes armés qui ont renversé le régime précédent. La création d’une armée nationale fédérant les différentes composantes de la révolution apparaît comme un enjeu crucial pour la stabilité du pays.
Mais cette armée en devenir sera-t-elle réellement au service de la nation, ou bien l’instrument d’un nouveau pouvoir dominé par les islamistes et leurs alliés ? Les profils des officiers nommés, et en particulier la présence en leur sein de jihadistes étrangers, légitiment les craintes de voir la Syrie basculer vers un régime fondamentaliste.
Tourner la page des divisions pour reconstruire
En nommant officiers des personnalités issues de toutes les tendances de la rébellion, y compris son aile la plus radicale, les nouveaux dirigeants syriens espèrent peut-être désamorcer les risques de contestation et de division de l’intérieur, afin de se consacrer aux immenses défis de la reconstruction. Mais il n’est pas certain que cela suffise à faire taire toutes les oppositions.
L’avenir de la Syrie dépendra de la capacité de cette nouvelle armée à consolider la paix et favoriser la réconciliation nationale, au-delà des clivages idéologiques et communautaires.
– Un diplomate occidental en poste dans la région
Il faudra aussi que cette armée gagne la confiance de la population et ne se transforme pas en force de répression entre les mains de ses nouveaux chefs. La transition syrienne est à peine entamée, la route sera encore longue et semée d’embûches avant que le pays ne retrouve pleinement la paix et la stabilité.