C’est un séisme qui secoue le mouvement Emmaüs. Réunis en assemblée générale extraordinaire ce mardi, les membres de l’association caritative ont voté à une écrasante majorité de 91% en faveur du retrait de la mention « fondateur abbé Pierre » de leur logo. Une décision lourde de sens, qui intervient après une série d’accusations de violences sexuelles visant celui qui fut longtemps considéré comme une icône de la lutte contre la pauvreté en France.
Un résultat sans appel
Pour Bruno Morel, président d’Emmaüs France, le verdict est clair : « C’est un résultat sans appel. Sans renier ce qu’on doit à l’abbé Pierre, on doit continuer à travailler au service des publics vulnérables ». Un message fort, qui vise à dissocier l’œuvre de l’homme, et à permettre à l’association de poursuivre ses missions malgré la tourmente.
Car les révélations sur le passé trouble du prêtre se sont accumulées ces derniers mois. Pas moins de 33 accusations de violences sexuelles ont été portées à l’encontre de l’abbé Pierre, mort en 2007. Des témoignages glaçants, rassemblés dans trois rapports réalisés par un cabinet indépendant mandaté par Emmaüs et la Fondation Abbé Pierre.
L’onde de choc de l’été dernier
Tout a commencé l’été dernier, avec la publication du premier rapport. Son contenu a provoqué un véritable séisme, tant la figure de l’abbé Pierre, défenseur inlassable des mal-logés et des plus démunis, semblait jusqu’alors intouchable. Mais les langues se sont déliées, et d’autres victimes présumées ont décidé de briser le silence.
Vers un changement de nom pour la Fondation ?
Face à l’ampleur du scandale, Emmaüs a donc décidé de couper symboliquement les ponts avec son fondateur. En plus de retirer son nom du logo, l’association a définitivement fermé le lieu de mémoire qui lui était dédié à Esteville, en Normandie. Une remise en question qui pourrait aller encore plus loin : la Fondation Abbé Pierre, créée en 1987 par le prêtre et ses proches pour lutter contre le mal-logement, envisage elle aussi de changer de nom.
Entre devoir de mémoire et impératif d’exemplarité
Pour Emmaüs, il s’agit de trouver un délicat équilibre. Comme le souligne l’association dans un communiqué, l’abbé Pierre fera « toujours partie de notre histoire ». Mais au regard de la gravité des accusations, « il devient impossible d’honorer publiquement son image ». Une prise de position courageuse, qui vise à respecter la souffrance des victimes tout en préservant l’intégrité et la réputation du mouvement.
Reste une question en suspens : quelle place donner à la mémoire de l’abbé Pierre dans l’histoire d’Emmaüs ? Si son nom disparaît du logo, son empreinte reste profonde dans l’ADN de l’association qu’il a fondée il y a plus de 70 ans. Un héritage à la fois encombrant et fondateur, avec lequel il faudra encore composer.
Vers une refondation ?
Pour Emmaüs, cette crise sans précédent pourrait paradoxalement être l’occasion d’un nouveau départ. En prenant ses distances avec la figure controversée de l’abbé Pierre, l’association affirme son attachement à des valeurs qui la dépassent : la solidarité, la dignité, le respect inconditionnel des personnes.
« Les drames personnels ne doivent pas nous faire oublier la noblesse de notre mission », rappelait récemment un responsable du mouvement.
Un appel à regarder vers l’avenir, sans pour autant faire table rase du passé. Car le combat d’Emmaüs reste plus que jamais d’actualité, à l’heure où la précarité ne cesse de gagner du terrain. Un combat collectif et anonyme, porté chaque jour par les milliers de bénévoles et de compagnons qui font vivre le mouvement sur le terrain. Bien plus qu’un nom ou qu’un logo, c’est cette force humaine qui constitue le véritable héritage de l’abbé Pierre.