Imaginez un enfant courant pieds nus dans le sable brûlant du Sahara, poursuivant des chèvres ou cherchant de l’eau sous un soleil implacable. Cet enfant, c’est Elhousine Elazzaoui, aujourd’hui âgé de 33 ans, un Marocain devenu une étoile montante du trail running. Ce dimanche, il s’attaque à l’une des courses les plus mythiques au monde : Zegama-Aizkorri, un marathon de 42,195 km avec un dénivelé cumulé de 5 472 mètres. Son histoire, entre dunes et sommets, est celle d’une détermination sans faille, d’une culture nomade berbère et d’un rêve qui le propulse vers les plus grandes compétitions mondiales.
De Zagora aux Pistes de Skyrunning
Elhousine n’a pas grandi avec des baskets de course dernier cri ni des plans d’entraînement sophistiqués. Né dans une famille nomade de onze enfants, dans la région de Zagora au Maroc, sa vie était rythmée par la survie dans le désert. « Une vie dure », comme il le décrit, où le vent, la sécheresse et l’absence d’hôpitaux façonnaient le quotidien. Sa mère, le jour de sa naissance, s’occupait encore des chèvres avant d’accoucher. Cette résilience, forgée dès l’enfance, est aujourd’hui sa plus grande force sur les sentiers escarpés.
À 14 ans, tout change. Lors d’une visite au souk de Zagora, Elhousine tombe sur une course locale de 5 km. Sans équipement, sans préparation, il s’élance et franchit la ligne d’arrivée en tête. Ce n’était pas une surprise pour lui : courir, il l’avait toujours fait, que ce soit pour aller à l’école ou chercher de l’eau à des kilomètres. Ce premier dossard marque le début d’une carrière fulgurante.
« Sans le trail, je serais resté dans le désert avec mes dromadaires. » – Elhousine Elazzaoui
Un Talent Brut sur la Scène Mondiale
Elhousine Elazzaoui n’est pas un simple coureur. Avec son petit gabarit (1,66 m pour 59 kg), il domine les compétitions internationales. Vainqueur de la Golden Trail World Series en 2024, il a triomphé sur vingt courses, du kilomètre vertical au marathon. En juin dernier, il a remporté le marathon du Mont-Blanc, un défi de 2 500 mètres de dénivelé positif, en 3h30’10’’, devançant le favori Rémi Bonnet dans une descente mémorable.
Son style est unique. Capable de maintenir des rythmes élevés sur le plat, il excelle aussi dans les montées grâce à sa puissance et dans les descentes grâce à une agilité hors norme. Un célèbre coureur, onze fois vainqueur de Zegama-Aizkorri, ne tarit pas d’éloges :
« Elhousine est capable de tenir des rythmes très élevés pendant longtemps sur le plat. Mais il est aussi fait pour les montées avec sa force, et il a un pied incroyable en descente. »
Un champion du trail
Ce n’est pas seulement sa technique qui impressionne. Elhousine court avec son cœur, porté par une confiance instinctive. « Je marche à la confiance, pas à la stratégie », confie-t-il. Juste avant une course, il dit parfois recevoir une « vision » du temps qu’il peut réaliser. Cette approche presque mystique, ancrée dans sa culture, le distingue dans un sport où les données et les plans règnent souvent en maîtres.
Zegama-Aizkorri : Le Graal du Trail
Zegama-Aizkorri n’est pas une course comme les autres. Ce marathon basque, dans la province de Guipuscoa, est un monstre de skyrunning. Avec ses 5 472 mètres de dénivelé cumulé, ses sentiers boueux et ses pentes abruptes, elle attire les meilleurs coureurs du monde et un public passionné. Les spectateurs, massés le long de la côte de Sancti Spiritu, créent une ambiance électrique, presque irréelle.
Elhousine rêve de s’imposer ici. En 2024, il a terminé deuxième, devancé par un adversaire légendaire. Cette année, avec l’absence de ce rival, il est le favori. « Gagner au Pays basque serait historique », dit-il, conscient que Zegama est plus qu’une course : c’est une communion avec le « vrai public du trail ».
- Distance : 42,195 km
- Dénivelé cumulé : 5 472 mètres
- Point culminant : Côte de Sancti Spiritu
- Spécificité : Ambiance unique avec des milliers de spectateurs
Pour Elhousine, Zegama représente un défi personnel autant que sportif. Chaque montée lui rappelle les dunes de son enfance, chaque descente est une danse avec le terrain. Mais la pression est immense : les attentes sont élevées, et la concurrence, même sans le champion historique, reste redoutable.
Une Culture Nomade au Cœur de la Course
Elhousine ne court jamais seul. Il porte sur ses épaules l’héritage de son peuple berbère. Son chèche, ce voile traditionnel, est plus qu’un accessoire : c’est un symbole de son identité. De même, sa gandoura, la tunique qu’il arbore parfois, le relie à ses racines. Ces éléments ne sont pas de simples détails : ils lui donnent « la sagesse et le courage » pour affronter les moments où ses muscles crient grâce.
Son alimentation reflète aussi cette connexion au désert. Elhousine se nourrit de lait de chamelle, de tajine et de taguella, un pain cuit dans le sable. Ces plats, simples mais riches en énergie, sont les carburants d’un athlète qui n’a pas besoin de gels énergétiques pour performer. Cette authenticité séduit ses fans et intrigue ses adversaires.
Le saviez-vous ? Le lait de chamelle, riche en vitamines et minéraux, est un aliment de choix pour les nomades du Sahara, offrant une hydratation et une énergie durables.
Au-delà de l’aspect physique, c’est sa mentalité qui fait la différence. Grandir dans un environnement hostile l’a doté d’une résilience rare. « Dans le désert, tu apprends à lutter contre tout », explique-t-il. Cette force mentale lui permet de repousser ses limites, même lorsque la fatigue menace de le submerger.
Une Vie Entre Deux Mondes
Aujourd’hui, Elhousine vit en Suisse, dans le Tessin, où il s’entraîne sur des terrains alpins bien loin des dunes. Diplômé comme guide touristique, il gère une petite agence de voyages au Maroc avec sa famille. Ses retours au pays sont l’occasion de renouer avec ses racines, de courir dans le désert et de partager des moments avec ses proches.
Ce va-et-vient entre deux univers – l’Europe des compétitions et le Maroc des traditions – enrichit son parcours. Il ne se contente pas de courir pour gagner : il court pour raconter une histoire, celle d’un nomade devenu une figure du trail mondial. Son court-métrage, The Nomad, produit par son équipe, retrace cette trajectoire exceptionnelle, des sables de Zagora aux sentiers escarpés d’Europe.
« Je marche à la confiance, pas à la stratégie. Juste avant le départ, j’ai parfois une vision qui me donne exactement le temps que je peux aller chercher. »
Elhousine Elazzaoui
Cette dualité fait de lui un athlète à part. Il ne court pas seulement pour les podiums, mais pour honorer son passé et inspirer ceux qui, comme lui, viennent d’un monde où les opportunités sont rares.
Vers l’UTMB et au-delà
Si Zegama-Aizkorri est l’objectif immédiat, Elhousine voit plus loin. Il ambitionne de s’attaquer aux ultra-trails du circuit UTMB, ces courses mythiques qui repoussent les limites humaines. Avec sa capacité à enchaîner les kilomètres et son endurance forgée dans le désert, il a tout pour briller sur ces formats plus longs.
Pour l’instant, il se concentre sur le présent. Chaque course est une étape, chaque montée une leçon. « En montagne, j’ai envie d’aller plus vite pour voir ce qu’il y a au sommet », dit-il, comparant les crêtes aux dunes de son enfance. Cette curiosité, cette soif de découverte, est ce qui le pousse à se dépasser.
Course | Distance | Dénivelé | Performance d’Elhousine |
---|---|---|---|
Marathon du Mont-Blanc | 42 km | 2 500 m | 1er en 3h30’10’’ (2024) |
Zegama-Aizkorri | 42,195 km | 5 472 m | 2e en 2024 |
Golden Trail World Series | Variable | Variable | Vainqueur 2024 |
Ce tableau illustre l’ampleur de ses exploits, mais il ne dit pas tout. Derrière chaque chrono, il y a une histoire de sacrifice, de persévérance et de connexion profonde avec ses origines.
Un Modèle d’Inspiration
Elhousine Elazzaoui n’est pas seulement un athlète d’exception. Il est un symbole d’espoir pour ceux qui croient que les origines ne déterminent pas le destin. Son parcours, du désert aux podiums internationaux, montre que la détermination et la passion peuvent ouvrir des portes là où il n’y en avait pas.
Pour les jeunes Marocains, il est une figure d’inspiration. Pour les amateurs de trail, il est une preuve que la technique et la stratégie, bien que cruciales, ne remplacent pas l’instinct et le cœur. Et pour le public de Zegama, il est un coureur à suivre, celui qui pourrait écrire une nouvelle page de l’histoire de cette course légendaire.
Elhousine décrochera-t-il la victoire à Zegama-Aizkorri ? La réponse ce dimanche.
En attendant, son histoire continue de captiver. De Zagora à la Suisse, des dunes aux montagnes, Elhousine Elazzaoui court avec une mission : prouver que les rêves, même nés dans le sable, peuvent atteindre les sommets.