Au Tchad, les récentes élections législatives, provinciales et locales, censées marquer la dernière étape d’une transition politique après trois ans de junte militaire au pouvoir, se retrouvent au cœur d’une vive controverse. Au lendemain du scrutin, Succès Masra, figure de proue de l’opposition tchadienne et président du parti Les Transformateurs, a appelé lundi à « une nouvelle transition », dénonçant un « échec retentissant » du processus électoral.
Une participation électorale en berne
Selon l’Agence nationale de la gestion des élections (Ange), le taux de participation s’est élevé à 52,37% à l’échelle nationale, et à seulement 36,22% dans la capitale N’Djamena. Des chiffres qui témoignent d’une mobilisation en demi-teinte des électeurs tchadiens, malgré l’enjeu crucial de ce triple scrutin pour l’avenir du pays.
Un « boycott massif » selon l’opposition
Pour Succès Masra et son parti Les Transformateurs, cette faible affluence dans les bureaux de vote s’explique par un « boycott massif » qu’ils avaient eux-mêmes appelé de leurs vœux. Dans un communiqué, ils accusent le pouvoir de s’apprêter à « imposer des résultats préfabriqués » au peuple tchadien, qualifiant le processus électoral d' »échec retentissant ».
Une nouvelle transition est devenue une évidence inéluctable et indispensable pour faire dialoguer tous les Tchadiens en tirant les leçons de cet échec.
– Communiqué des Transformateurs
Des accusations de fraude électorale
Au-delà de la question de la participation, plusieurs formations politiques de l’opposition ont fait état d’irrégularités lors du scrutin. Parmi les griefs évoqués : des militaires qui auraient voté à plusieurs reprises sans présenter de documents d’identité, un manque de matériel dans certains bureaux de vote, ou encore des cas d’intimidations.
Des accusations balayées par le parti au pouvoir, le Mouvement Patriotique du Salut (MPS), qui a dénoncé lundi dans un communiqué la « stratégie destructrice » des Transformateurs, estimant que leur boycott les privait de « l’opportunité de prouver leur capacité à gérer, même à petite échelle, les affaires publiques ».
Mahamat Idriss Déby conforté dans ses fonctions
Pour mémoire, Succès Masra, ancien Premier ministre, s’était incliné face à Mahamat Idriss Déby Itno lors de la présidentielle de mai 2024. Ce dernier, porté au pouvoir par un putsch militaire à la mort de son père en avril 2021, avait été élu au premier tour avec 61,3% des voix, pour une participation de 75%. Des résultats aussitôt contestés par Masra, qui avait crié à la fraude.
Conforté dans ses fonctions de chef de l’État, Mahamat Idriss Déby a reçu le 21 décembre dernier son grade de maréchal. À cette occasion, il a affirmé que son accession au pouvoir avait « évité au pays de sombrer dans le chaos », se félicitant de la « marche vers le progrès » du Tchad. Une vision aux antipodes de celle d’une opposition qui dénonce un régime « autocratique » et « violemment répressif ».
La tenue des législatives, un enjeu crucial
Au cœur des contentieux, la tenue même de ces élections législatives revêtait un caractère crucial. Initialement prévues pour 2015, elles avaient été repoussées à maintes reprises, au motif de menaces sécuritaires, de difficultés financières, ou encore de la crise sanitaire liée au Covid-19. Leur report sine die après le décès d’Idriss Déby père et la mise en place d’un parlement de transition nommé par décret présidentiel en 2021 avaient achevé de cristalliser les tensions.
Le code électoral tchadien prévoit la possibilité de contester les résultats dans un délai de cinq jours après la proclamation des résultats provisoires, attendue pour le 15 janvier. Nul doute que l’opposition, Succès Masra en tête, compte bien s’engouffrer dans cette brèche pour tenter d’invalider un scrutin qu’elle juge d’ores et déjà entaché d’irrégularités. Mais au-delà, c’est bien une « nouvelle transition » que Les Transformateurs appellent de leurs vœux, estimant que le dialogue national est à ce prix. Affaire à suivre, tant les prochaines semaines s’annoncent décisives pour l’avenir politique du Tchad.