Les Mauriciens s’apprêtent à vivre des élections législatives sous haute tension ce dimanche. Un scandale retentissant d’écoutes téléphoniques à grande échelle est venu assombrir la campagne, ravivant les inquiétudes quant à une possible érosion démocratique dans cet archipel de l’océan Indien, pourtant réputé comme l’un des plus stables du continent africain.
Un scrutin indécis sur fond de scandale
Au cœur de ces législatives, le sort du Premier ministre sortant Pravind Kumar Jugnauth, qui brigue un nouveau mandat de cinq ans. Il espérait surfer sur la conclusion début octobre d’un accord “historique” avec Londres concernant la souveraineté de l’archipel des Chagos, un succès diplomatique majeur après plus d’un demi-siècle de litige. Mais c’était sans compter sur l’éclatement quelques semaines plus tard d’un scandale retentissant.
Des extraits de conversations téléphoniques impliquant des personnalités politiques, des membres de la société civile, des diplomates et des journalistes ont fuité sur les réseaux sociaux. Face à l’ampleur de l’affaire, les autorités ont d’abord annoncé le blocage des réseaux sociaux jusqu’au scrutin, avant de faire machine arrière devant le tollé suscité. L’épisode a sérieusement écorné la campagne de Pravind Jugnauth.
Une démocratie fragilisée ?
Si l’île Maurice, portée par le tourisme et les services financiers, fait figure de success story démocratique depuis son indépendance du Royaume-Uni en 1968, des voix s’élèvent pour pointer du doigt des signes inquiétants d’un recul ces dernières années. Selon la chercheuse en démocratie Roukaya Kasenally, les institutions censées assurer les contre-pouvoirs n’ont pas fonctionné et la corruption a augmenté sous la dernière mandature.
Après l’indépendance, nous avons développé cette réussite démocratique et cette économie du “miracle mauricien”, et nous n’avons jamais pensé que nous allions régresser
Roukaya Kasenally, chercheuse en démocratie
Elle pointe du doigt la discrimination “systématique” dont est victime la population créole descendante d’esclaves africains. Un malaise dans une société par ailleurs multiculturelle, composée majoritairement d’hindous mais comptant aussi d’importantes minorités chrétiennes et musulmanes.
Les enjeux du scrutin
Quelque 1 million d’électeurs mauriciens sont appelés aux urnes pour ces 12èmes législatives depuis l’indépendance. Le mode de scrutin, de type proportionnel, poussent souvent à la formation de larges coalitions au détriment du pluralisme.
En 2019, l’alliance dominée par le MSM de Pravind Jugnauth avait raflé 38 des 70 sièges de députés. Cette fois-ci, son principal adversaire est son prédécesseur Navin Ramgoolam, 77 ans, dirigeant du Parti travailliste (PTr). L’ancien Premier ministre est le fils du père de l’indépendance mauricienne. Signe de l’usure du bipartisme traditionnel, une “troisième voie” émerge avec le slogan “Ni Navin, ni Pravind”, fustigeant la corruption et le népotisme.
L’ombre de la géopolitique
Dernier enjeu et non des moindres, l’avenir de l’accord trouvé début octobre sur les Chagos. L’archipel était jusqu’ici sous contrôle du Royaume-Uni qui y avait installé une base militaire américaine après avoir expulsé la population locale dans les années 60. Le nouvel accord reconnaît la souveraineté de Maurice tout en permettant aux Britanniques de conserver le contrôle de la base militaire.
Mais d’aucuns craignent que l’élection de Donald Trump ne remette en cause cet équilibre délicat, étant donné la position du nouveau président américain vis-à-vis de la présence des États-Unis dans l’océan Indien. De quoi ajouter une touche d’incertitude supplémentaire à un scrutin crucial pour l’avenir démocratique de Maurice.