Le paysage politique japonais est en plein bouleversement suite aux élections législatives anticipées de dimanche dernier. Pour la première fois depuis 2009, le Parti libéral-démocrate (PLD), formation de droite conservatrice au pouvoir, a perdu sa majorité absolue à la chambre basse du Parlement. Pire encore, même en additionnant ses sièges à ceux de son allié le Komeito, le PLD n’atteint pas les 50% des 456 sièges en jeu. Un véritable camouflet pour le Premier ministre Shigeru Ishiba, qui avait convoqué ce scrutin juste après sa nomination le 1er octobre.
Un “opposant interne” fragilisé
Longtemps considéré comme un outsider au sein même du PLD en raison de ses critiques acerbes envers l’ex-Premier ministre Shinzo Abe, Shigeru Ishiba a vu sa popularité s’envoler grâce à ce statut atypique. Mais celui-ci s’est évaporé durant la campagne électorale. “Contrairement à M. Abe, connu pour ses positions diplomatiques musclées et son programme de réformes économiques, il est plus difficile pour M. Ishiba de se distinguer des autres partis”, analyse Yosuke Sunahara, professeur d’administration publique.
Au-delà d’une inflation persistante qui grève le pouvoir d’achat des ménages, Ishiba a surtout été rattrapé par un vaste scandale de “caisses noires” au sein de son parti. Une affaire qui avait déjà plombé la cote de confiance de son prédécesseur Fumio Kishida. Le leader de l’opposition Yoshihiko Noda, très apprécié des Japonais pour son pragmatisme et sa stabilité lorsqu’il était aux manettes entre 2011 et 2012, en a fait son principal angle d’attaque.
Une opposition trop fragmentée pour gouverner
Malgré des gains importants, le Parti démocrate constitutionnel (PDC) de Noda, principale formation d’opposition, n’est pas en mesure de former une coalition alternative. “La possibilité d’une alternance n’est pas nulle, mais il y a beaucoup trop de partis dans l’opposition pour qu’un seul atteigne une majorité lui permettant de gouverner”, souligne Yu Uchiyama, professeur de sciences politiques. L’échiquier politique est en effet très morcelé, allant des communistes jusqu’au Parti japonais de l’innovation, formation populiste.
Gouvernement minoritaire ou nouveaux alliés ?
Dans ce contexte, Shigeru Ishiba va devoir soit diriger un gouvernement minoritaire, soit se chercher de nouveaux partenaires pour atteindre la majorité absolue. Une mission délicate, la plupart des partis d’opposition ayant d’ores et déjà exclu toute alliance, échaudés par les scandales financiers du PLD. Seul le Parti démocrate du peuple, formation centriste, a entrouvert la porte à une “coalition partielle”, plus souple.
Quoi qu’il en soit, les marges de manœuvre du PLD vont se réduire pour faire adopter des textes législatifs majeurs, à l’image des mesures de soutien à la consommation des ménages et au plan de relance budgétaire que défendait Ishiba. “Le Japon entre dans une nouvelle ère d’instabilité politique”, prédit Marcel Thieliant, expert de Capital Economics. Les velléités de réformes radicales paraissent compromises.
Un Premier ministre déjà sur un siège éjectable ?
La défaite cuisante du PLD pourrait bien coûter sa place à Shigeru Ishiba, à peine nommé. Selon des sources proches du parti, il risque de “subir de vives critiques en interne” et de devenir le Premier ministre au mandat le plus court depuis 1945 s’il venait à démissionner. Le responsable des élections du PLD, Shinjiro Koizumi, a d’ailleurs déjà jeté l’éponge ce lundi.
Mais évincer Ishiba sans régler la question des scandales financiers pourrait se retourner contre le PLD et attiser encore davantage le mécontentement des électeurs. “Cela rendrait plus délicat pour les rivaux d’Ishiba au sein du parti de le critiquer”, tempère le politologue Yosuke Sunahara. Le Japon s’apprête en tout cas à traverser une période de fortes turbulences politiques, avec un gouvernement affaibli et une opposition ragaillardie mais trop disparate pour incarner une alternative crédible. De quoi compliquer les réformes dont le pays a besoin pour relancer sa croissance atone.