La Côte d’Ivoire retient son souffle. À quelques mois de l’élection présidentielle prévue pour le 25 octobre 2025, le pays est plongé dans une effervescence politique où chaque décision peut redessiner l’avenir. Ce week-end, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), le parti au pouvoir, tient un congrès décisif à Abidjan. Objectif : désigner officiellement son candidat. Et tous les regards convergent vers une figure centrale, Alassane Ouattara, président sortant depuis 2011. Mais alors que les cadres du parti chantent ses louanges, l’opposition s’insurge, et une question brûle les lèvres : un quatrième mandat est-il envisageable pour cet homme de 84 ans ?
Un Congrès sous Haute Tension
Le congrès du RHDP, qui s’étend sur deux jours, marque un tournant dans la campagne électorale ivoirienne. Réunis à Abidjan, des milliers de militants et cadres du parti se sont rassemblés pour célébrer le bilan du président Ouattara et, surtout, pour officialiser sa candidature. L’événement, qui se clôturera par un grand meeting au stade d’Ebimpé, un lieu symbolique où la Côte d’Ivoire a remporté la Coupe d’Afrique des Nations en 2024, est bien plus qu’une simple formalité. Il s’agit d’une démonstration de force dans un climat politique tendu.
Le vice-président du pays, Tiemoko Meyliet Koné, a donné le ton lors de la cérémonie d’ouverture. Dans un discours vibrant, il a vanté les progrès économiques, sociaux et culturels réalisés sous la présidence d’Ouattara. Une croissance soutenue, des infrastructures modernisées et une stabilité relative : pour le RHDP, ces acquis font du président sortant le choix incontestable. Mais cette unanimité affichée cache des enjeux bien plus complexes.
Ouattara, le Candidat « Naturel » ?
Depuis des mois, Alassane Ouattara entretient un suspense savamment orchestré. En janvier, il lâchait une phrase énigmatique, déclarant vouloir continuer à « servir son pays ». Pour les cadres du RHDP, cette déclaration équivaut à un feu vert. Le parti n’a cessé de multiplier les rassemblements à travers le pays, exhortant le président à se présenter pour un quatrième mandat. Mais Ouattara, absent de la cérémonie d’ouverture, n’a pas encore confirmé officiellement sa décision. Acceptera-t-il immédiatement le rôle de candidat, ou jouera-t-il la carte de la réflexion ?
« La Côte d’Ivoire a réalisé des avancées majeures sur le plan économique, social et culturel, avec une croissance soutenue que beaucoup nous envient encore. Nous sommes fiers d’être Ivoiriens. »
Tiemoko Meyliet Koné, vice-président de la Côte d’Ivoire
Ce suspense autour de la candidature d’Ouattara n’est pas anodin. À 84 ans, le président serait l’un des chefs d’État les plus âgés à briguer un nouveau mandat. Cette perspective divise profondément. Si le RHDP voit en lui un leader expérimenté capable de consolider les acquis, ses détracteurs dénoncent une volonté de s’accrocher au pouvoir, dans un pays où la stabilité politique reste fragile.
Une Opposition Muselée
Le climat politique en Côte d’Ivoire s’est considérablement tendu ces dernières semaines. Plusieurs figures majeures de l’opposition ont été écartées de la course électorale par des décisions judiciaires controversées. Parmi elles, l’ex-président Laurent Gbagbo, son ancien bras droit Charles Blé Goudé, l’ancien Premier ministre Guillaume Soro, et le leader du principal parti d’opposition, Tidjane Thiam. Ces exclusions, justifiées par des condamnations judiciaires ou des questions de nationalité, ont suscité une vague d’indignation.
Laurent Gbagbo, figure emblématique de l’opposition, ne mâche pas ses mots. Lors d’une récente déclaration, il a fustigé ce qu’il qualifie de « dérives » menaçant de ramener le pays à l’époque du parti unique. « Je n’abandonnerai pas le combat contre le quatrième mandat », a-t-il martelé, appelant à une mobilisation pour contrer ce qu’il perçoit comme une confiscation du pouvoir.
« Je ne peux pas rester silencieux devant les dérives qui veulent nous faire revenir au parti unique. Je n’abandonnerai pas le combat contre le quatrième mandat. »
Laurent Gbagbo, ancien président de la Côte d’Ivoire
Face à ces exclusions, l’opposition accuse le pouvoir de manipuler la justice pour éliminer ses adversaires. Ces tensions ravivent les souvenirs des crises politiques passées, notamment les violences post-électorales de 2010-2011, qui avaient fait des milliers de morts. Le spectre d’une nouvelle instabilité plane, alors que le RHDP, par la voix de son porte-parole Kobenan Kouassi Adjoumani, met en garde les opposants contre toute tentative de « forcing » électoral.
Un Bilan en Or, Mais des Critiques Persistantes
Le RHDP ne manque pas d’arguments pour défendre la candidature d’Ouattara. Depuis son arrivée au pouvoir en 2011, le président a supervisé une période de croissance économique notable. Les investissements dans les infrastructures, comme le stade d’Ebimpé, et le développement du secteur agricole ont transformé le visage du pays. Selon les cadres du parti, ces réalisations font d’Ouattara le garant d’une stabilité et d’une prospérité continues.
Indicateur | Avant 2011 | Sous Ouattara |
---|---|---|
Croissance économique | Instable, crises fréquentes | 6-8% par an (moyenne) |
Infrastructures | Limitées, vieillissantes | Routes, ponts, stades modernes |
Stabilité politique | Conflits post-électoraux | Relative, mais tensions persistantes |
Pourtant, ces avancées ne font pas l’unanimité. L’opposition pointe du doigt les inégalités croissantes et le chômage des jeunes, qui restent des défis majeurs. De plus, les exclusions judiciaires des opposants alimentent les accusations d’autoritarisme. Pour beaucoup, le bilan économique, aussi impressionnant soit-il, ne peut effacer les fractures politiques et sociales qui persistent.
Le Poids du Stade d’Ebimpé
Le choix du stade d’Ebimpé pour le grand meeting de clôture du congrès n’est pas anodin. Ce lieu, qui porte le nom d’Alassane Ouattara, est un symbole de son héritage. C’est là que la Côte d’Ivoire a célébré sa victoire lors de la Coupe d’Afrique des Nations en 2024, un moment de fierté nationale. En organisant l’annonce de la candidature dans ce stade, le RHDP cherche à associer Ouattara à cet élan de succès et d’unité.
Mais ce choix pourrait aussi attiser les tensions. Pour l’opposition, cet étalage de moyens contraste avec les restrictions imposées à leurs leaders. Le stade, lieu de rassemblement festif il y a un an, pourrait devenir le théâtre d’une confrontation symbolique entre le pouvoir et ses détracteurs.
Vers un Quatrième Mandat ?
La question d’un quatrième mandat est au cœur des débats. En Côte d’Ivoire, la Constitution limite en théorie le nombre de mandats présidentiels à deux. Cependant, une réforme constitutionnelle en 2016, suivie d’une nouvelle Constitution en 2020, a relancé le débat juridique sur l’éligibilité d’Ouattara. Ses partisans soutiennent que ces changements ont « réinitialisé » le compteur des mandats, tandis que l’opposition crie à une manipulation.
Pour l’instant, Ouattara reste maître du jeu. En entretenant le suspense, il maintient l’attention sur sa personne tout en consolidant l’unité de son parti. Mais cette stratégie n’est pas sans risque. Une candidature officialisée pourrait galvaniser l’opposition et raviver les tensions dans un pays où la réconciliation nationale reste un objectif lointain.
Les Défis de l’Élection à Venir
L’élection du 25 octobre 2025 s’annonce comme un moment décisif pour la Côte d’Ivoire. Voici les principaux enjeux à surveiller :
- Participation de l’opposition : Avec plusieurs leaders exclus, la légitimité du scrutin est remise en question.
- Stabilité politique : Les tensions actuelles pourraient dégénérer si le dialogue entre pouvoir et opposition ne s’améliore pas.
- Image internationale : La communauté internationale observe de près, attendant un processus électoral transparent.
- Jeunesse et chômage : Les attentes des jeunes, souvent marginalisés, seront un facteur clé.
Pour le RHDP, l’enjeu est clair : capitaliser sur le bilan d’Ouattara tout en minimisant les accusations d’autoritarisme. Pour l’opposition, il s’agit de mobiliser ses bases malgré les obstacles judiciaires et de faire entendre sa voix dans un contexte défavorable.
Un Pays à la Croisée des Chemins
La Côte d’Ivoire se trouve à un tournant. Le congrès du RHDP, qui s’achèvera par une annonce très attendue au stade d’Ebimpé, pourrait définir le ton de la campagne électorale. Si Alassane Ouattara confirme sa candidature, il devra convaincre un pays divisé que son leadership reste la meilleure option. Mais face à une opposition déterminée et à une jeunesse en quête de changement, la route vers le 25 octobre s’annonce semée d’embûches.
Le suspense autour de la décision d’Ouattara, combiné aux tensions politiques, fait de cette élection un moment charnière. La Côte d’Ivoire, souvent présentée comme un modèle de croissance en Afrique, devra prouver qu’elle peut également être un exemple de démocratie. Reste à savoir si ce congrès marquera le début d’une campagne apaisée ou le prélude à de nouvelles turbulences.