Imaginez un pays suspendu à quelques milliers de bulletins, où chaque point de pourcentage fait trembler les murs du pouvoir. Au Honduras, cette scène n’est pas un film : elle se joue en ce moment même, et le suspense atteint son paroxysme.
Un retournement aussi soudain que spectaculaire
Jeudi soir, le vent a tourné. Nasry Asfura, candidat du Parti National et homme d’affaires respecté à Tegucigalpa, a repris la première place avec 40,05 % des suffrages exprimés contre 39,74 % pour Salvador Nasralla. L’écart ? À peine 0,31 point. Autrement dit, quelques milliers de voix dans un pays de onze millions d’habitants.
Ce n’est pas la première fois que les chiffres basculent. Dimanche, Asfura dominait largement. Mardi, après une mystérieuse interruption du système, Nasralla passait devant. Et voilà qu’aujourd’hui, le maire de la capitale reprend l’avantage. On dirait un match de boxe où chaque round change le favori.
Des interruptions qui alimentent tous les soupçons
Le Conseil National Électoral a stoppé la publication des résultats dans la nuit de lundi à mardi, invoquant des « problèmes techniques ». Trois heures plus tard, la diffusion reprenait… puis s’arrêtait de nouveau mercredi pendant plusieurs heures pour « maintenance ».
Ces coupures ont immédiatement déclenché la colère outre-Atlantique. Donald Trump, qui suit la situation de très près, a menacé le Honduras de « conséquences très graves » s’il estimait que l’on tentait de « voler » l’élection à son candidat.
« Nous surveillons cela de très près. Il y aura des conséquences très graves si quelqu’un essaie de changer les résultats »
Des mots qui pèsent lourd quand ils viennent de Washington, surtout pour un petit pays d’Amérique centrale qui dépend fortement de l’aide et des transferts de fonds des États-Unis.
Trump dans la campagne : un soutien assumé et explosif
Le président américain n’a jamais caché sa préférence. Dans les derniers jours de campagne, il a publiquement appelé les Honduriens à voter pour Nasry Asfura, qualifié d’« ami de la liberté ».
Le geste le plus spectaculaire reste la grâce accordée lundi à l’ancien président Juan Orlando Hernández. Condamné l’an dernier à 45 ans de prison aux États-Unis pour narcotrafic, l’ex-chef du Parti National est soudain libre. Un timing qui n’a rien d’innocent à quelques jours du scrutin.
Pour Trump, Salvador Nasralla incarne le danger « quasi-communiste ». Le candidat libéral a effectivement occupé des fonctions importantes sous l’actuelle présidente de gauche Xiomara Castro. Mais l’intéressé se défend farouchement : il dit admirer Javier Milei en Argentine et Nayib Bukele au Salvador, deux figures ultralibérales et sécuritaires.
Une sanction sans appel pour la gauche au pouvoir
Au-delà du duel Asfura-Nasralla, le grand perdant s’appelle Rixi Moncada. La candidate du parti Libertad y Refundación, au pouvoir depuis 2022, pointe à moins de 20 % des voix. C’est un rejet massif.
Dans un pays rongé par la violence des maras, la pauvreté extrême et la corruption endémique, les Honduriens semblent avoir voulu tourner la page. Les promesses de rupture avec l’ancien système, portées par Xiomara Castro en 2021, n’ont visiblement pas convaincu.
Les trois chiffres qui résument le scrutin
- 0,31 % : l’écart actuel entre les deux premiers
- 15,48 % : le retard abyssal de la candidate du pouvoir
- 19 000 : le nombre de bureaux de vote dont les procès-verbaux vont être recomptés à la main
Recompte manuel : la dernière étape décisive
Rien n’est encore joué. Le Conseil National Électoral l’a rappelé : la proclamation officielle attendra le recomptage physique de tous les procès-verbaux. Dans un pays montagneux où certaines communautés sont accessibles uniquement à dos de mule, cette opération peut prendre jusqu’à dix jours aller, autant au retour.
Chaque bulletin va être ouvert, lu à voix haute, vérifié. C’est long, c’est fastidieux, mais c’est la seule méthode qui fait consensus dans un climat de défiance généralisée.
En attendant, les deux camps se préparent déjà au pire. Meetings de soutien, avocats en alerte, observateurs internationaux mobilisés : tout le monde retient son souffle.
Pourquoi cette élection nous concerne tous
Le Honduras n’est pas qu’un petit pays d’Amérique centrale. C’est le théâtre d’un affrontement plus large : celui entre une droite décomplexée, prête à s’allier avec les États-Unis les plus interventionnistes, et des forces qui tentent encore de défendre une voie progressiste dans la région.
C’est aussi un laboratoire de la démocratie sous pression : quand les systèmes de vote électronique vacillent, quand les grandes puissances s’invitent dans les urnes, quand la rue gronde dès qu’un résultat tarde.
Et surtout, c’est un rappel brutal : dans certains coins du monde, voter reste un acte de courage. Parce que derrière chaque bulletin se jouent la sécurité, le pain quotidien, la possibilité ou non de rester chez soi plutôt que de prendre la route du nord.
Ce soir, quelque part entre Tegucigalpa et San Pedro Sula, des milliers de fonctionnaires électoraux trient des montagnes de papier. Demain, peut-être, nous saurons qui dirigera le Honduras pour les quatre prochaines années.
Mais une chose est déjà certaine : quel que soit le vainqueur, il héritera d’un pays fracturé, endetté, violent… et qui regarde vers l’avenir avec une colère froide.
Le compte à rebours est lancé. Et il ne reste plus que quelques milliers de bulletins pour écrire la suite de l’histoire.









