Le Cameroun vient de vivre une journée électorale décisive, marquée par un face-à-face inédit entre deux figures politiques de poids : Paul Biya, président en poste depuis 43 ans, et Issa Tchiroma Bakary, son ancien ministre devenu adversaire. Dans les rues de Yaoundé et sur les réseaux sociaux, les passions s’enflamment. Les partisans des deux camps revendiquent déjà la victoire, tandis que le pays attend avec impatience les résultats officiels, prévus d’ici le 26 octobre. Mais dans ce climat tendu, une question persiste : cette élection marquera-t-elle un tournant historique ou un prolongement du statu quo ?
Un Duel Historique au Sommet
Le scrutin présidentiel camerounais de 2025 s’est déroulé dans un contexte de forte polarisation. D’un côté, Paul Biya, 92 ans, dirige le pays d’une main ferme depuis 1982. Réélu à chaque scrutin avec des scores dépassant les 70 % depuis plus de deux décennies, il incarne une stabilité pour certains, mais un immobilisme pour d’autres. Face à lui, Issa Tchiroma Bakary, ancien ministre et figure de l’opposition, a su fédérer une partie de la population, notamment dans sa région natale du Nord, en promettant un changement radical.
Les bureaux de vote ont fermé leurs portes dimanche à 18h, et déjà, les premières images de dépouillements, capturées par des citoyens munis de leurs smartphones, circulent sur les réseaux sociaux. Ces vidéos, montrant des tableaux noirs où sont inscrits les résultats partiels, alimentent les spéculations et les revendications de victoire. Mais au-delà de l’enthousiasme, une tension palpable règne, marquée par des craintes de fraudes électorales et des souvenirs douloureux des précédentes élections.
Une Campagne Sous Haute Surveillance
Le jour du scrutin, les autorités ont déployé des forces de sécurité dans les grandes villes, notamment à Yaoundé, où des unités ont été postées à des carrefours stratégiques. Cette présence, bien que discrète, rappelle les enjeux sécuritaires d’une élection où chaque camp joue gros. Dans le quartier de la Briqueterie, bastion de Tchiroma, l’ambiance était électrique dimanche soir. Des centaines de partisans scandaient des slogans optimistes, tels que « Au revoir Paul Biya, Tchiroma arrive ». Pourtant, même dans ce fief, la prudence reste de mise.
« On veut le changement, mais on ne veut pas de problème », explique Abdou Mana, un habitant de 50 ans, résumant l’état d’esprit de nombreux électeurs.
Dans la région du Nord, où Tchiroma jouit d’une forte popularité, des heurts ont éclaté entre des partisans et les forces de l’ordre. Ces incidents, bien que localisés, soulignent les tensions qui traversent le pays. Le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, a tenu à rappeler que proclamer des résultats avant le Conseil constitutionnel est illégal, qualifiant cette pratique de « ligne rouge à ne pas franchir ».
Les Enjeux d’une Élection Cruciale
Pourquoi cette élection suscite-t-elle autant d’attention ? D’abord, parce qu’elle oppose deux visions radicalement différentes pour l’avenir du Cameroun. Paul Biya, avec son expérience et son contrôle des institutions, incarne la continuité. Ses détracteurs, cependant, dénoncent un système verrouillé, où les accusations de fraudes électorales sont récurrentes. En 2018, l’opposant Maurice Kamto, arrivé deuxième, avait revendiqué la victoire avant d’être arrêté, un précédent qui hante encore les esprits.
Issa Tchiroma, de son côté, a su rallier une coalition d’opposition, l’Union pour le Changement 2025, qui voit en lui un espoir de renouveau. Son directeur de campagne, Chris Maneng’s, affirme que des observateurs ont été déployés dans 90 % des bureaux de vote pour garantir la transparence. « Nous avons un lead dans la quasi-majorité des régions », a-t-il déclaré, confiant dans une victoire imminente.
Les chiffres clés du scrutin :
- Date limite des résultats : 26 octobre 2025
- Durée maximale pour contester : 72 heures après la clôture du vote
- Participation : Non communiquée officiellement
- Bureaux surveillés par l’opposition : 90 % selon Tchiroma
La Voix des Citoyens et des Réseaux Sociaux
Les réseaux sociaux jouent un rôle central dans cette élection. Des images de procès-verbaux, prises dans les bureaux de vote, circulent à grande échelle, alimentant les débats en ligne. Ces documents, souvent partagés par des citoyens souhaitant « surveiller leur vote », montrent des résultats partiels qui varient d’une région à l’autre. Certains bureaux affichent une avance pour Tchiroma, tandis que d’autres penchent pour Biya. Cette transparence spontanée, bien que non officielle, reflète un désir de contrôle citoyen sur le processus électoral.
Cependant, cette liberté d’expression en ligne n’est pas sans risque. En 2018, les manifestations post-électorales avaient été sévèrement réprimées, avec des arrestations et des dispersions violentes. Cette année, les autorités semblent vouloir éviter un scénario similaire, tout en maintenant un contrôle strict sur les annonces de résultats.
Un Contexte Historique Chargé
Pour comprendre l’importance de ce scrutin, il faut remonter à l’histoire récente du Cameroun. Depuis son indépendance, le pays a connu une gouvernance marquée par de longues présidences. Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, est l’un des dirigeants les plus anciens du continent africain. Son règne, bien que stable pour certains, est critiqué pour son manque de pluralisme et les restrictions imposées à l’opposition.
En 2018, l’élection avait été marquée par des controverses. Maurice Kamto, principal opposant de l’époque, avait défié les résultats officiels, entraînant une vague de répression. Cette fois, Tchiroma semble vouloir éviter les mêmes erreurs, en insistant sur la nécessité de respecter les résultats issus des urnes, tout en mobilisant des observateurs pour garantir l’équité.
Les Défis du Conseil Constitutionnel
Le Conseil constitutionnel, chargé de proclamer les résultats officiels, est au cœur des attentions. Cette institution, souvent perçue comme proche du pouvoir en place, devra faire face à une pression immense pour garantir la transparence. Selon le code électoral, toute contestation doit être déposée dans les 72 heures suivant la clôture du scrutin, un délai qui complique la tâche des opposants, étant donné que les résultats définitifs pourraient n’être annoncés que deux semaines plus tard.
« C’est le seul résultat que nous accepterons », a déclaré Issa Tchiroma sur les réseaux sociaux, appelant à la vigilance.
Ce décalage entre le dépouillement et l’annonce officielle alimente les craintes de manipulations. Pourtant, le ministre Paul Atanga Nji a insisté sur le bon déroulement du scrutin, affirmant qu’aucun incident majeur n’a été signalé. Cette déclaration, bien que rassurante, n’a pas suffi à apaiser les tensions.
Vers un Changement ou une Continuité ?
À l’heure actuelle, le Cameroun se trouve à un carrefour. Les partisans de Tchiroma rêvent d’un renouveau politique, porté par une coalition d’opposition qui a su mobiliser des énergies nouvelles. De l’autre côté, les soutiens de Biya mettent en avant la stabilité et l’expérience du président. Mais au-delà des résultats, c’est la capacité du pays à organiser une transition pacifique qui est en jeu.
Les prochaines semaines seront cruciales. Les résultats, attendus d’ici le 26 octobre, pourraient soit apaiser les tensions, soit raviver les frustrations. Dans un pays où les souvenirs de répressions passées restent vifs, la prudence est de mise. Les citoyens, eux, continuent de scruter les réseaux sociaux et d’attendre des réponses.
Les étapes à venir :
- Annonce des résultats : Avant le 26 octobre
- Contestation possible : Dans les 72 heures post-scrutin
- Rôle des observateurs : Compilation des procès-verbaux
- Risques : Tensions et affrontements localisés
En attendant, le Cameroun retient son souffle. Les résultats de cette élection pourraient redéfinir l’avenir politique du pays, ou consolider un système en place depuis des décennies. Une chose est sûre : les citoyens, plus que jamais, veulent faire entendre leur voix.