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Échanges de Tirs à la Frontière : Afghanistan et Pakistan au Bord du Conflit

Dans la nuit de vendredi, des tirs d’artillerie ont à nouveau résonné à Spin Boldak. Kaboul accuse le Pakistan d’avoir déclenché les hostilités et promet une riposte. La trêve obtenue il y a quelques semaines vient-elle de voler en éclats ? La situation est plus tendue que jamais…

Imaginez une frontière longue de plus de 2 600 kilomètres, hérissée de barbelés, surveillée nuit et jour, où le moindre incident peut dégénérer en affrontement ouvert. C’est exactement ce qui s’est produit vendredi soir dans le district de Spin Boldak, côté afghan, et à Chaman, côté pakistanais. Pendant près de deux heures, les armes ont parlé.

Une nuit sous le feu à la frontière

Vers 22 h 30 heure locale, les premiers coups de feu retentissent. Rapidement, l’échange devient nourri. Les autorités talibanes parlent d’une attaque délibérée venue du Pakistan. Selon elles, artillerie légère et lourde a été employée, des obus de mortier sont même tombés sur des habitations civiles.

« La partie pakistanaise a commencé à attaquer l’Afghanistan à Kandahar, dans le district de Spin Boldak, et les forces de l’émirat islamique ont été forcées de riposter », déclare le porte-parole du gouvernement taliban sur les réseaux sociaux. Le ton est sec, sans appel.

« Les affrontements ont cessé, les deux parties ont accepté d’y mettre fin »

Ali Mohammed Haqmal, responsable de l’information à Kandahar

Deux heures plus tard, le silence retombe. Aucun bilan officiel de victimes n’est communiqué dans l’immédiat, mais la population locale, déjà épuisée par des semaines de tension, retient son souffle.

Un contexte déjà explosif

Ces nouveaux échanges de tirs ne sortent pas de nulle part. Depuis plusieurs mois, les relations entre Kaboul et Islamabad traversent une crise profonde, la plus grave depuis la prise de pouvoir des talibans en août 2021.

Le point de rupture ? La question du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), le mouvement taliban pakistanais. Islamabad reproche aux autorités afghanes de laisser les combattants du TTP se réfugier sur leur sol et lancer des attaques contre le Pakistan. Kaboul dément et accuse à son tour Islamabad de soutenir des groupes hostiles à son régime.

En toile de fond : la fameuse ligne Durand, tracée en 1893 par les Britanniques, que l’Afghanistan n’a jamais pleinement reconnue comme frontière définitive. Chaque gouvernement afghan, taliban ou non, continue de la contester.

La clôture, symbole de toutes les rancœurs

Depuis 2017, le Pakistan érige une immense clôture le long de la frontière, censée empêcher les infiltrations terroristes mais perçue côté afghan comme une tentative d’imposer unilatéralement la ligne Durand. Des milliers de kilomètres de barbelés, de miradors et de postes de contrôle.

Pour les habitants des deux côtés, souvent issus des mêmes tribus pachtounes, cette barrière coupe des familles, empêche le commerce traditionnel et alimente un sentiment d’humiliation. Chaque incident à un poste-frontière peut rapidement dégénérer.

Le 12 octobre dernier, la frontière a été fermée sine die après des heurts particulièrement violents. Le principal point de passage, celui de Chaman-Spin Boldak, reste clos, provoquant une crise humanitaire et commerciale majeure.

Mi-octobre : le précédent qui fait peur

Il y a moins de deux mois, la situation avait déjà basculé dans l’inédit. Des combats à l’arme lourde avaient duré plusieurs jours, faisant environ 70 morts selon des sources locales. Un niveau de violence jamais vu depuis des décennies à cette frontière.

Après d’intenses tractations, le Qatar et la Turquie avaient réussi à arracher une trêve. Les deux pays s’étaient engagés à faire taire les armes et à rouvrir progressivement les postes-frontières. Promesse fragile, visiblement.

Le 25 novembre : l’incident qui a mis le feu aux poudres

Il y a tout juste dix jours, Kaboul accusait déjà l’armée pakistanaise d’avoir bombardé des zones frontalières, tuant dix personnes dont neuf enfants. Islamabad avait formellement démenti, parlant d’opérations contre des bases du TTP à l’intérieur du territoire pakistanais.

Ce démenti n’a convaincu personne côté afghan. La méfiance est totale. Chaque camp lit les actions de l’autre comme une provocation délibérée.

Que s’est-il vraiment passé vendredi soir ?

À l’heure actuelle, Islamabad n’a pas réagi officiellement. Du côté pakistanais de la frontière, des journalistes ont bien entendu des tirs d’artillerie et des explosions, mais aucune source officielle ne confirme ni n’infirme l’implication de l’armée.

Deux scénarios se dessinent :

  • Une opération pakistanaise contre des positions présumées du TTP qui aurait mal tourné et touché le territoire afghan.
  • Une provocation délibérée des talibans afghans pour forcer la réouverture de la frontière ou tester la détermination pakistanaise.

Dans les deux cas, le cessez-le-feu obtenu après des heures de tension semble tenir… pour l’instant.

Les conséquences immédiates pour les populations

À Spin Boldak comme à Chaman, la vie s’est arrêtée. Les marchés sont déserts, les écoles fermées par précaution, les hôpitaux en alerte. Des familles entières dorment dehors par peur des bombardements.

La fermeture prolongée de la frontière a déjà provoqué pénurie de médicaments, de produits de première nécessité et chute brutale des échanges commerciaux. Des milliers de camions sont bloqués des deux côtés, pourrissant sous le soleil ou le froid nocturne.

Vers une nouvelle escalade ?

Rien ne permet d’affirmer que nous assistons au début d’un conflit ouvert. Mais chaque incident fragilise un peu plus la trêve et alimente la rhétorique nationaliste des deux côtés.

Les talibans, qui ont besoin de stabilité pour faire reconnaître leur régime, ne peuvent pas se permettre une guerre avec leur puissant voisin. Le Pakistan, déjà confronté à une crise économique majeure et à une insécurité interne croissante, n’a aucun intérêt à ouvrir un nouveau front.

Pourtant, la logique de l’escalade semble l’emporter. Chaque riposte appelle une contre-riposte, chaque accusation renforce la conviction que l’autre prépare l’attaque suivante.

Un espoir de désescalade ?

Des canaux de communication existent encore. Le Qatar et la Turquie, qui avaient réussi à imposer la trêve d’octobre, sont probablement déjà à la manœuvre. Des appels téléphoniques discrets ont lieu entre officiers des deux côtés pour éviter la surenchère.

Mais tant que la question du TTP ne sera pas réglée et que la frontière restera fermée, les incidents risquent de se multiplier. La nuit de vendredi n’était peut-être qu’un avertissement. Ou le début de quelque chose de beaucoup plus grave.

Dans cette région oubliée des grandes cartes géopolitiques, deux pays voisins, deux gouvernements fragiles, deux armées nerveuses, continuent de jouer avec le feu. Et ce sont toujours les civils qui paient le prix fort.

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