C’était une annonce politique fracassante, le genre de moment qui marque l’histoire d’un parti. Le 11 juin 2024, Éric Ciotti, président des Républicains, déclare sur TF1 qu’il s’allie avec le Rassemblement National de Jordan Bardella pour les élections législatives qui approchent. Une alliance que beaucoup voyaient venir mais qui choque néanmoins par son caractère inédit et lourd de conséquences pour l’avenir de la droite française.
Car entre la droite classique, représentée notamment par le RPR puis l’UMP et LR, et l’extrême-droite incarnée par le Front National devenu Rassemblement National, c’est une histoire vieille de près de 40 ans. Une relation complexe, ambiguë, faite de hauts et de bas, d’accords ponctuels et de rejets violents.
Un clivage fondateur dans les années 80
Tout commence en 1983. Aux élections municipales de Dreux, la liste RPR-UDF de Jean Hieaux s’allie au second tour avec celle du Front National menée par Jean-Pierre Stirbois. Une alliance locale qui fait grand bruit et inaugure le clivage droite/extrême-droite. François Mitterrand, président socialiste, y voit un moyen de diviser ses opposants. Et lance sa fameuse formule du “Front républicain” contre le FN.
Mais rapidement, la question de l’attitude à adopter face à la montée du FN de Jean-Marie Le Pen divise la droite. D’un côté, ceux qui prônent la fermeté et le rejet absolu, au nom des valeurs républicaines et démocratiques. De l’autre, les tentés par les alliances, voyant dans le FN un réservoir de voix pour battre la gauche.
Le tournant de 2002 et le “cordon sanitaire”
L’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle 2002 marque un tournant. Jacques Chirac refuse tout accord avec l’extrême-droite et l’emporte largement. La droite semble choisir la ligne du “cordon sanitaire”, excluant toute alliance avec le FN. Mais en coulisses, certains rêvent toujours d’exploiter électoralement la poussée lepéniste.
La tentation Buisson sous Sarkozy
Arrive l’ère Sarkozy, et son conseiller Patrick Buisson, venu de l’extrême-droite. Une stratégie de droitisation est à l’œuvre, avec des thèmes et un vocabulaire parfois proches du FN. Mais sans aller jusqu’à l’alliance. Le clivage demeure, même si les lignes bougent.
Le choc du “ni-ni” en 2015
Vient 2015 et les régionales. Nicolas Sarkozy, président de l’UMP, refuse toute consigne pour les seconds tours face au FN, la fameuse position du “ni FN ni PS“. Une ligne qui choque une partie de la droite et mène à sa défaite en 2017.
Ciotti-Bardella : la rupture de 2024
Et nous voilà en 2024. Avec cette alliance surprise entre le RN et LR, désormais dirigés respectivement par Jordan Bardella et Éric Ciotti. Une alliance qualifiée de pragmatique par ses promoteurs, de reniement par ses opposants.
A l’annonce d’Éric Ciotti, j’ai eu comme un choc. Je suis restée sans mot, avec une sensation de tournis.
– Inès, militante LR depuis 2012
Ce tournant majeur ravive les débats historiques à droite. Entre pragmatisme électoral et barrière éthique. Entre culture du compromis et valeurs non négociables. L’accord Ciotti-Bardella ne fait d’ailleurs pas l’unanimité au sein de LR, loin de là. Des figures comme Bruno Retailleau ou Laurent Wauquiez dénoncent un “reniement” de l’héritage du RPR et de l’UMP.
Quel avenir pour la droite républicaine ?
Cette séquence pose la question de l’avenir des Républicains et plus largement de la droite républicaine. Comment se positionner dans un paysage politique totalement recomposé par la poussée du RN ? Faut-il accompagner le mouvement et tenter d’influer sur une éventuelle majorité ? Ou au contraire refuser tout compromis, quitte à l’isolement politique ?
Une chose est sûre : après 40 ans d’ambiguïtés et de revirements, la question de la frontière entre droite et extrême-droite en France n’a jamais été aussi brûlante et décisive. L’accord Ciotti-Bardella ouvre une nouvelle page de cette histoire tumultueuse. Avec quelles conséquences ? Les urnes le diront bientôt.