Dans l’obscurité de la nuit, alors que les habitants de Ntoyo s’apprêtaient à rendre hommage à leurs défunts, des cris ont déchiré le silence. Des hommes armés, surgis de la forêt, ont semé la mort dans ce village de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Ce drame, survenu dans la nuit de lundi à mardi, a laissé derrière lui un bilan effroyable : au moins 89 victimes, selon des sources locales. Comment une région déjà marquée par des décennies de violence peut-elle encore être le théâtre d’une telle horreur ?
Un village sous le choc : le récit de Ntoyo
À Ntoyo, petit village du Nord-Kivu, la vie s’est arrêtée net. Les Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe rebelle affilié à l’État islamique, a orchestré deux attaques simultanées, l’une à Ntoyo et l’autre dans un village situé à une centaine de kilomètres. Ce n’était pas une simple incursion : les assaillants, parmi lesquels des combattants étonnamment jeunes, ont frappé avec une violence inouïe, laissant des familles brisées et des maisons en cendres.
« Ils étaient nombreux, parlaient une langue étrangère. De loin, leurs tenues rappelaient celles des militaires »,
Jean-Claude Mumbere, 16 ans, survivant de l’attaque.
Jean-Claude, un adolescent de 16 ans, a échappé de justesse à la mort. Blessé par une balle lors de sa fuite, il raconte avoir trouvé refuge dans la forêt, ignorant la douleur jusqu’à ce que l’adrénaline retombe. Sa sœur, elle, n’a pas eu cette chance. Mercredi, il assistait à ses funérailles, un moment de deuil partagé par une communauté dévastée.
Une région martyrisée par la violence
Le Nord-Kivu et l’Ituri, deux provinces de l’est de la RDC, sont depuis des décennies le théâtre de conflits incessants. Les groupes armés, dont les ADF, y sèment la terreur, ciblant les civils avec une cruauté qui défie l’entendement. Depuis juillet, plus de 170 personnes ont perdu la vie dans des attaques attribuées aux ADF, selon un décompte récent. Ces chiffres, bien que glaçants, ne traduisent pas l’ampleur du traumatisme vécu par les survivants.
Dans la région, les violences ne se limitent pas aux ADF. Plus au sud, le groupe M23, soutenu par le Rwanda, continue d’affronter l’armée congolaise, malgré des pourparlers de paix récents.
Les habitants de Ntoyo décrivent des scènes d’apocalypse : des maisons incendiées, des coups de feu résonnant dans la nuit, et des familles contraintes de fuir à travers les bananeraies pour échapper aux assaillants. Didas Kakule, 56 ans, a vu son foyer réduit en cendres, mais s’estime chanceux : aucun de ses proches n’a été tué. Pourtant, la peur reste omniprésente, et la méfiance envers les autorités grandit.
Une réponse militaire insuffisante
Face à la menace des ADF, l’armée congolaise (FARDC) et ses alliés ougandais, déployés depuis 2021 dans la région, semblent dépassés. Lors de l’attaque de Ntoyo, seuls quatre militaires étaient présents sur place. Les renforts, stationnés à sept kilomètres, sont arrivés trop tard pour empêcher le massacre. Cette lenteur a alimenté la frustration des habitants, qui dénoncent une inaction chronique des autorités.
« C’est leur faillite. On signale que les assaillants sont proches, et ils n’interviennent pas »,
Didas Kakule, habitant de Ntoyo.
Le lieutenant Marc Elongo, porte-parole de l’armée, tente de justifier ces défaillances en expliquant que les ADF adoptent une stratégie de dispersion, attaquant par petits groupes pour déstabiliser les forces en présence. Pourtant, cette explication peine à convaincre une population qui se sent abandonnée.
Le deuil dans un village fantôme
Mercredi, Ntoyo était méconnaissable. Ce village de 2 500 âmes s’est transformé en un lieu désolé, où seuls quelques habitants osaient encore se rassembler. Sous une pluie battante, des volontaires ont creusé des tombes, plantant 25 croix de bois dans la terre détrempée. Certains corps, enveloppés dans des draps, attendaient encore d’être inhumés, tandis que d’autres avaient été emportés à la hâte par des familles sur des motos.
Statistiques récentes | Détails |
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Victimes des ADF depuis juillet | Plus de 170 civils tués |
Attaques à Ntoyo | 89 morts en une nuit |
Présence militaire à Ntoyo | 4 soldats au moment de l’attaque |
Anita Kavugho, une jeune femme en pleurs, se tenait devant la tombe de son oncle. Pour elle, cette tragédie aurait pu être évitée si les alertes avaient été prises au sérieux. Son témoignage reflète un sentiment largement partagé : l’inaction des autorités est une trahison envers les civils qui vivent dans la peur constante.
Les ADF : une menace insaisissable
Les ADF, nées en Ouganda avant de s’implanter en RDC, sont connues pour leur brutalité et leur capacité à se fondre dans la forêt. Quelques jours avant l’attaque de Ntoyo, une opération conjointe des armées congolaise et ougandaise avait permis de reprendre un bastion rebelle et de libérer des otages. Mais, comme souvent, les ADF se sont dispersées, frappant ailleurs pour détourner l’attention des militaires.
Cette stratégie, selon des experts sécuritaires, vise à épuiser les forces armées en les obligeant à se déployer sur plusieurs fronts. Les rebelles, agissant en petits groupes, profitent de la densité de la forêt pour échapper aux poursuites, rendant chaque opération militaire plus complexe.
Une fracture grandissante entre armée et population
Chaque nouvelle attaque creuse un peu plus le fossé entre les habitants et les forces de l’ordre. Samuel Kakule, représentant de la société civile, parle d’une « fissure » qui menace la cohésion sociale. Les habitants, lassés par les promesses non tenues, commencent à perdre confiance en l’armée, censée les protéger.
- Manque de réactivité : Les renforts arrivent souvent trop tard.
- Effectifs insuffisants : Seulement quatre soldats étaient présents à Ntoyo.
- Stratégie des ADF : Les rebelles exploitent les failles logistiques.
Face à ce constat, les habitants se sentent abandonnés. Certains envisagent même de quitter leurs villages pour chercher refuge dans des zones plus sûres, comme l’agglomération minière de Manguredjipa, où beaucoup se sont déjà installés après l’attaque.
Quel avenir pour Ntoyo et le Nord-Kivu ?
La tragédie de Ntoyo n’est qu’un épisode parmi tant d’autres dans une région où la paix semble hors de portée. Les pourparlers de paix, bien que prometteurs, n’ont pas encore porté leurs fruits, et les affrontements entre l’armée et des groupes comme le M23 continuent de faire des victimes. Pendant ce temps, les civils paient le prix fort d’une guerre qui ne semble pas avoir de fin.
Pour les survivants, l’urgence est de reconstruire, non seulement leurs maisons, mais aussi leur confiance en un avenir meilleur. Les cicatrices laissées par les ADF, tant physiques que psychologiques, mettront du temps à guérir. Mais dans un village où les croix de bois s’élèvent sous la pluie, l’espoir, bien que fragile, persiste.
« Nous avons fui, mais nous reviendrons. Ce village est notre maison », affirme un survivant.
En attendant, les habitants de Ntoyo pleurent leurs morts et appellent à une action concertée pour mettre fin à l’impunité des groupes armés. La question demeure : combien de tragédies faudra-t-il encore pour que la paix revienne dans l’est de la RDC ?