Il est un peu plus de vingt heures ce lundi 8 décembre 2025. Dans une résidence ordinaire du quartier de la Bocca, à l’ouest de Cannes, le silence habituel des parties communes vole en éclats. Deux détonations sèches résonnent. Un jeune homme s’effondre, touché mortellement. En quelques secondes, la routine d’un immeuble comme tant d’autres bascule dans l’horreur.
Un homicide en pleine résidence
Les faits sont d’une froide simplicité. La victime, âgée d’une vingtaine d’années, reçoit deux projectiles alors qu’elle se trouve dans les escaliers ou le hall de l’immeuble qu’elle occupait. Les secours, rapidement sur place, ne peuvent que constater le décès. L’auteur des coups de feu a déjà disparu dans la nuit.
Le profil du jeune homme ne surprend personne dans les couloirs de la police : il était connu des services pour divers antécédents. Un détail qui, loin d’être anodin, oriente immédiatement les enquêteurs vers la piste du règlement de comptes.
La Bocca, un quartier sous tension silencieuse
Officiellement, la Bocca n’est pas classée en zone de sécurité prioritaire. Les discours politiques locaux répètent volontiers qu’il ne s’agit pas d’un « quartier sensible ». Pourtant, les habitants le savent : derrière les façades ripolinées et les palmiers, une autre réalité existe.
Depuis plusieurs années, les faits divers s’y accumulent avec une régularité inquiétante. Bagarres, trafics en tous genres, intimidations : le quotidien de certains secteurs s’est durci. L’arrivée de réseaux extérieurs, attirés par la proximité de l’autoroute et la richesse touristique de Cannes, a modifié la donne.
Les riverains, eux, préfèrent souvent se taire. « On voit, on entend, mais on ne dit rien », confiait récemment une habitante à une équipe de télévision locale. La loi du silence, héritage de décennies de cohabitation forcée avec la petite délinquance, reste plus forte que jamais.
Une exécution qui ne doit rien au hasard
Deux balles. Pas une de plus. Le mode opératoire parle de lui-même : on ne s’embarrasse pas de détails quand le message doit être clair. Dans le milieu du banditisme corse, on appelait cela autrefois « la signature ». Aujourd’hui, la pratique s’est démocratisée.
Les enquêteurs de la police judiciaire d’Aix-en-Provence, saisis de l’affaire, explorent plusieurs hypothèses. Un différend lié au trafic de stupéfiants ? Une dette non honorée ? Une rivalité entre bandes ? Toutes les pistes restent ouvertes, mais une certitude domine : l’acte était prémédité.
« Ce n’est pas un crime passionnel, c’est un contrat. »
Un policier expérimenté, sous couvert d’anonymat
Cette phrase, prononcée dans les couloirs du commissariat de Cannes, résume l’état d’esprit des forces de l’ordre. Le tireur connaissait visiblement les habitudes de sa cible. Il a attendu le bon moment, le bon endroit. Une efficacité glaçante.
Le fléau des armes de nouveau pointé du doigt
En quelques années, la Côte d’Azur est devenue une des régions où la circulation d’armes de poing explose. Les saisies se multiplient, mais elles ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. Pistolets Glock, revolvers 357 Magnum, armes de guerre : tout se vend, tout s’achète.
Les sources d’approvisionnement sont connues : Balkans, Espagne, Italie du Sud. Les prix ont chuté de façon vertigineuse. Un 9 mm en bon état se négocie désormais entre 800 et 1500 euros sur le darknet ou via des filières locales. Une somme accessible pour qui trempe déjà dans des activités lucratives.
Conséquence directe : le moindre différend dégénère. Là où autrefois on réglait ses comptes à coups de poing ou de batte de baseball, on sort aujourd’hui l’arme à feu sans hésiter. Le seuil de violence a franchi un cap irréversible.
Une jeunesse en perdition
La victime avait une vingtaine d’années. Comme tant d’autres avant lui dans la région. Le profil type du jeune homme emporté par la spirale infernale : entrée précoce dans la petite délinquance, absences scolaires, premières condamnations dès la minorité, puis l’engrenage fatal.
Dans les quartiers populaires des Alpes-Maritimes, le trafic de drogue reste le premier employeur des moins de 25 ans. Les « chouf », guetteurs payés 50 euros la journée, constituent la base de la pyramide. Au-dessus, les « vendeurs », puis les « gérants » de point de deal. L’ascension est rapide, la chute brutale.
Les éducateurs de rue le répètent depuis des années : il manque cruellement de structures, de suivi, de perspectives. Quand l’État recule, d’autres prennent la place. Et ceux-là ne proposent ni contrat de travail ni retraite.
Une enquête sous haute pression
Dès les premières heures, les moyens déployés ont été conséquents. Chien pisteur, brigade scientifique, vidéosurveillance des environs : tout est passé au crible. Les témoignages, eux, restent rares. La peur ou la solidarité de quartier font leur œuvre.
Pourtant, des éléments commencent à émerger. Un véhicule suspect aperçu peu avant les faits. Un individu encagoulé qui prend la fuite à pied. Des appels téléphoniques suspects dans l’entourage de la victime. Les pièces du puzzle s’assemblent lentement.
Dans ce genre d’affaires, le temps est comptable. Plus les heures passent, plus le ou les auteurs ont le temps de se mettre à l’abri, de faire disparaître les preuves, de préparer leur défense. Les enquêteurs le savent : ils ont quelques jours, pas plus, pour frapper fort.
Des précédents qui font froid dans le dos
Ce drame n’est pas isolé. En 2024 déjà, plusieurs règlements de comptes avaient ensanglanté la région. À Nice, à Antibes, à Mandelieu. Partout le même schéma : des jeunes hommes abattus en pleine rue ou devant chez eux, souvent en lien avec le narcobanditisme.
La particularité de la Bocca ? Le fait que l’exécution ait eu lieu à l’intérieur même d’un immeuble d’habitation. Un cran supplémentaire dans l’escalade. Désormais, même les cages d’escalier ne protègent plus.
Les habitants, eux, oscillent entre colère et résignation. « On paie nos loyers, nos charges, et on vit dans la peur », témoignait une mère de famille le lendemain matin, les traits tirés. Beaucoup songent à déménager. Ceux qui le peuvent, du moins.
Et maintenant ?
La question que tout le monde se pose, sans oser vraiment y répondre : jusqu’où cela va-t-il aller ? Combien de morts faudra-t-il encore pour que les choses bougent vraiment ?
Les annonces se succèdent pourtant : renforts policiers, caméras supplémentaires, opérations coup de poing. Mais sur le terrain, le sentiment d’abandon domine. Les trafiquants, eux, continuent leur business, plus discrets mais tout aussi actifs.
Ce jeune homme abattu lundi soir n’est qu’un nom de plus sur une liste déjà trop longue. Derrière les statistiques froides, il y avait un fils, peut-être un frère, un ami. Une vie fauchée à l’aube de l’âge adulte, dans l’indifférence générale.
Dans le quartier de la Bocca, les volets restent clos un peu plus longtemps ce matin. On parle à voix basse. On regarde par-dessus son épaule. Et on attend, avec une angoisse sourde, le prochain coup de feu.
Car ici, comme ailleurs sur la Côte d’Azur, personne n’est à l’abri. Ni les dealers, ni les honnêtes gens. La violence a pris ses quartiers. Pour de bon.









