C’est une nouvelle qui a secoué le monde universitaire. Vincent Dupont, un doctorant français menant des recherches sociologiques en Tunisie, est détenu depuis le 19 octobre sur ordre de la justice militaire tunisienne. Son crime ? Étudier les trajectoires socio-professionnelles de ceux qui se sont engagés lors de la Révolution de 2011, premier soulèvement du Printemps arabe qui a renversé le dictateur Ben Ali.
Selon Vincent Geisser, directeur de l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (Iremam) auquel est rattaché le jeune chercheur, la situation est “totalement exceptionnelle”. La justice militaire tunisienne, qui traite généralement des atteintes à la sûreté de l’État, se retrouve saisie d’un sujet de recherche purement sociologique, sans lien avec la politique ou la sécurité.
Un sujet de recherche classique, loin des dissidences politiques
Vincent Dupont, âgé d’une vingtaine d’années seulement, s’intéresse aux parcours de vie des Tunisiens engagés lors de la révolution. Un sujet important pour comprendre les transformations de la société tunisienne post-Ben Ali, mais qui n’a rien de subversif ou de menaçant pour le pouvoir en place. Comme l’explique son directeur de recherche :
Ce n’est pas un sujet politique lié aux dissidents ou opposants, ce n’est pas un sujet sécuritaire, c’est un sujet sociologique classique.
Vincent Geisser, directeur de l’Iremam
Pourtant, quelques jours seulement après son arrivée en Tunisie pour mener des entretiens, le jeune doctorant a été arrêté puis déféré devant la justice militaire. Une de ses amies franco-tunisiennes, arrêtée elle aussi peu après, a également été placée sous mandat de dépôt.
L’excellence de la recherche européenne mise à mal
Au-delà du cas personnel de Vincent Dupont, c’est toute la communauté scientifique qui est choquée par cette arrestation. Le doctorant est en effet rattaché au prestigieux Conseil européen de la recherche (ERC), qui finance des programmes d’excellence. Son travail s’inscrit donc dans le meilleur de la recherche européenne.
Face à cette situation inédite, les services diplomatiques français sont totalement mobilisés selon Vincent Geisser. La famille du jeune chercheur s’est également rendue sur place. Tous espèrent une libération rapide et un retour à la normale pour que Vincent puisse poursuivre sereinement ses travaux de recherche.
La Tunisie post-révolution entre espoirs et désillusions
Cette affaire intervient dans un contexte tunisien tendu. Le pays est dirigé depuis 2019 par le président Kais Saied, accusé par la société civile de “dérive autoritaire”. Malgré cela, il a été réélu le 7 octobre 2022 avec un score écrasant de 90,7% des voix. La Tunisie semble aujourd’hui tiraillée entre les espoirs suscités par la révolution et les désillusions face aux difficultés économiques et sociales persistantes.
Le cas de Vincent Dupont illustre tristement les obstacles qui se dressent encore sur le chemin de la Tunisie vers un réel État de droit et une société ouverte. En s’attaquant à la liberté académique et à la recherche, les autorités tunisiennes envoient un signal inquiétant.
Un soutien international indispensable
Face à cette situation préoccupante, la mobilisation internationale sera décisive. Au-delà du cas individuel de Vincent Dupont, c’est la liberté de la recherche et le dialogue entre les peuples qui sont en jeu. Les scientifiques du monde entier doivent pouvoir travailler librement, sans crainte de représailles, sur tous les sujets, y compris les plus sensibles socialement et politiquement.
Espérons que les autorités tunisiennes sauront entendre la voix de la raison et libéreront rapidement Vincent Dupont. C’est une condition indispensable pour que le monde universitaire continue à s’intéresser à la Tunisie et pour que le pays poursuive sa difficile marche vers la démocratie. Le soutien de la communauté internationale sera plus que jamais nécessaire dans les mois et années à venir.
