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Doctolib Suscite La Controverse Avec Son Nouvel Onglet Santé

Doctolib lance un nouvel onglet santé permettant de stocker ses données médicales, suscitant l'inquiétude des autorités sur une potentielle concurrence avec le dossier médical partagé. La licorne française se défend de toute volonté de...

La plateforme de prise de rendez-vous médicaux Doctolib fait l’objet d’une vive controverse suite au lancement fin novembre d’un nouvel onglet « santé » sur son application mobile. Cette fonctionnalité, permettant aux patients de stocker leurs informations de santé, leurs antécédents médicaux, traitements et vaccinations, inquiète les autorités sanitaires qui y voient une potentielle concurrence avec le dossier médical partagé mis en place par l’État.

Doctolib dément vouloir concurrencer le DMP

Face à ces accusations, le fondateur et dirigeant de Doctolib, Stanislas Niox-Chateau, se défend de toute volonté de se substituer au dossier médical partagé (DMP) géré par l’Assurance Maladie. Il affirme que l’objectif est simplement de permettre aux utilisateurs de centraliser leurs données de santé au sein de l’application qu’ils utilisent déjà massivement pour gérer leurs rendez-vous médicaux.

Cependant, cette initiative ne passe pas auprès des pouvoirs publics. D’après des sources proches du dossier, la Délégation ministérielle du numérique en santé (DNS) aurait même qualifié en interne Stanislas Niox-Chateau « d’Elon Musk français ». Une comparaison peu flatteuse illustrant les tensions suscitées par le développement rapide de Doctolib et sa position quasi-monopolistique sur le marché de la e-santé en France.

Des fonctionnalités similaires au dossier médical partagé

Pour la DNS comme pour l’Assurance Maladie, l’onglet santé de Doctolib constitue une forme de concurrence frontale au DMP. Les patients peuvent en effet y renseigner sensiblement les mêmes informations que dans le dossier médical partagé : allergies, groupe sanguin, personnes à prévenir en cas d’urgence, directives anticipées…

De plus, Doctolib prévoit d’enrichir progressivement les fonctionnalités de cet espace santé, en permettant par exemple le téléchargement d’ordonnances ou de résultats d’examens médicaux. Des évolutions qui risquent d’empiéter encore davantage sur le périmètre du DMP et d’en détourner les utilisateurs potentiels.

Une adoption massive du DMP encore difficile

Cette polémique intervient alors que les pouvoirs publics peinent toujours à généraliser l’utilisation du dossier médical partagé, malgré son lancement il y a déjà plusieurs années. Fin 2022, seuls 12 millions de Français disposaient d’un DMP actif selon l’Assurance Maladie, loin de l’objectif initial d’une adoption universelle.

À l’inverse, Doctolib revendique plus de 60 millions d’utilisateurs en France et une croissance toujours soutenue. La plateforme a ainsi réalisé un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros en 2022. Sa capacité à centraliser et exploiter des données de santé à très grande échelle inquiète donc légitimement les autorités sanitaires.

Un encadrement strict des données de santé

Conscient de ces enjeux, Doctolib assure que les données renseignées dans son onglet santé seront stockées de manière sécurisée et ne pourront en aucun cas être exploitées à des fins commerciales ou publicitaires. La société met en avant sa certification HDS (hébergeur de données de santé) et sa conformité au RGPD.

Cependant, au regard des nombreuses dérives constatées ces dernières années en matière d’exploitation des données personnelles par les géants du numérique, ces garanties peinent à convaincre. D’autant que le modèle économique de Doctolib, basé sur la monétisation indirecte des données, soulève des questions.

La santé est un domaine extrêmement régulé et les données de santé sont parmi les plus sensibles. Leur hébergement et leur exploitation doivent donc être strictement encadrés et contrôlés, ce qui n’est pas toujours compatible avec les logiques de plateformes privées à but lucratif.

Une experte en droit du numérique

Vers une centralisation contestée des données de santé

Au-delà de la question de la concurrence avec le DMP, l’initiative de Doctolib cristallise les inquiétudes quant à la centralisation croissante des données de santé par les acteurs privés. Même si l’accès et l’utilisation de ces données sont aujourd’hui strictement réglementés, rien ne garantit qu’il en sera toujours ainsi à l’avenir.

Beaucoup redoutent qu’à terme, la pression des lobbys et les immenses enjeux financiers ne conduisent à un affaiblissement progressif de ces garde-fous. La constitution de gigantesques bases de données multi-sources sur la santé des individus fait en effet l’objet de convoitises de la part des assureurs, des laboratoires pharmaceutiques ou encore des entreprises technologiques.

Nous devons être extrêmement vigilants car celui qui contrôlera les données de santé aura un pouvoir considérable, non seulement économique mais aussi politique et social. C’est une question éminemment démocratique qui engage notre souveraineté numérique.

Un expert en santé numérique

Des choix stratégiques décisifs pour l’avenir

Face à ces défis, les pouvoirs publics se retrouvent à la croisée des chemins. Faut-il laisser les acteurs privés innover et développer des services numériques en santé au risque de perdre la maîtrise des données ? Ou au contraire renforcer le contrôle public quitte à freiner le déploiement de solutions potentiellement utiles aux patients ?

Une troisième voie pourrait consister à nouer des partenariats public-privé encadrés, permettant de tirer parti du dynamisme et du savoir-faire des entreprises comme Doctolib tout en garantissant la souveraineté sur les données de santé. Mais la définition de tels partenariats s’avère complexe sur les plans juridique, technique et éthique.

Une chose est sûre : les choix qui seront faits dans les prochains mois et années engageront durablement notre système de santé. Face aux défis du vieillissement, des maladies chroniques et des pandémies, le numérique apparaît à la fois comme une formidable opportunité et un immense défi. Un défi qu’il nous faut absolument relever de manière collective et concertée.

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