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Dmytro Firtach Échappe à l’Extradition Grâce au Bélarus

Onze ans que les États-Unis attendent Dmytro Firtach pour corruption. Onze ans que l'Autriche hésite. Et puis, en décembre 2025, un juge viennois tranche : il reste libre… grâce à une immunité offerte par le Bélarus. Mais comment un régime isolé peut-il protéger un milliardaire poursuivi partout ailleurs ? La réponse est glaçante.

Imaginez passer plus de dix ans assigné à résidence dans un pays qui n’est même pas le vôtre, avec un mandat d’arrêt américain au-dessus de la tête, et soudain, une immunité venue d’un régime autoritaire vous libère définitivement.

C’est exactement ce qui vient d’arriver à Dmytro Firtach, 60 ans, l’un des oligarques les plus controversés d’Ukraine.

Une immunité bélarusse qui change tout

Le mardi 9 décembre 2025, la Cour d’appel de Vienne a mis un point final à une saga judiciaire longue de onze années. Le parquet autrichien avait tenté un ultime recours, mais il a été jugé irrecevable car déposé hors délai. La décision de première instance rendue en novembre 2024 devient donc définitive : aucune extradition vers les États-Unis.

Le motif ? Dmytro Firtach bénéficie depuis 2021 d’une immunité diplomatique accordée par le Bélarus. Il a été nommé représentant permanent du régime de Loukachenko auprès de l’ONUDI, l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel, dont le siège est justement à Vienne.

Peu importe que l’Union européenne et l’Autriche ne reconnaissent pas cette accréditation. Peu importe que Minsk soit sous sanctions internationales. Le juge autrichien a tranché : la séparation des pouvoirs l’empêche de déclarer cette immunité invalide.

Que dit exactement le jugement ?

Le texte est limpide : « L’intéressé bénéficie, en tant que membre d’une mission permanente auprès de l’Onu, des privilèges et immunités diplomatiques prévus par l’accord de siège. »

L’État d’accueil ne peut pas déclarer persona non grata un représentant permanent détaché auprès de l’organisation internationale.

En clair : tant que l’ONUDI accepte la lettre de créance bélarusse, l’Autriche n’a pas son mot à dire.

Les autorités autrichiennes avaient pourtant tiré la sonnette d’alarme en interne. Un document confidentiel évoquait le risque que Vienne devienne « le refuge international le plus prisé des grands escrocs, braqueurs de banque, chefs mafieux et barons de la drogue ». Le juge a balayé l’argument : ce n’est pas à la justice de faire de la politique étrangère.

Qui est vraiment Dmytro Firtach ?

À 60 ans, Dmytro Firtach est l’archétype de l’oligarque postsoviétique. Il a bâti sa fortune colossale dans les années 2000 en important du gaz russe en Ukraine via des sociétés écran liées à Gazprom. À son apogée, il contrôlait près de 70 % du marché ukrainien du gaz.

Proche de l’ancien président prorusse Viktor Ianoukovitch, il a vu sa situation se compliquer après la révolution de Maïdan en 2014. Les États-Unis l’accusent d’avoir versé plusieurs dizaines de millions d’euros de pots-de-vin à des responsables indiens pour obtenir des licences d’extraction de titane en Inde.

Arrêté à Vienne en 2014 sur mandat américain, il a passé les onze années suivantes en Autriche, interdit de quitter le territoire mais vivant dans un luxe discret, avec des actifs immobiliers et financiers conséquents dans le pays.

Le rôle trouble de l’ONUDI

L’Organisation des Nations unies pour le développement industriel est peu connue du grand public. Pourtant, son siège viennois lui confère un statut particulier : les représentants permanents auprès de l’ONUDI bénéficient des mêmes immunités que ceux auprès de l’ONU classique.

En 2021, le Bélarus a donc nommé Dmytro Firtach à ce poste. Choix stratégique : Minsk n’a rien à perdre, et l’oligarque gagne une protection en béton.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Vienne se retrouve dans une situation similaire. En 2024, un diplomate nord-coréen accusé d’espionnage avait déjà bénéficié d’une immunité analogue, malgré l’opposition des autorités autrichiennes.

Un précédent dangereux ?

La décision fait grincer des dents. Des experts en droit international estiment qu’elle ouvre une brèche béante : tout État, même paria, peut désormais protéger n’importe qui en le nommant représentant auprès d’une organisation onusienne basée à Vienne.

Le précédent nord-coréen et maintenant bélarusse laisse craindre une multiplication de ces « immunités de complaisance ». L’Ukraine a déjà sanctionné Firtach en 2021, le Royaume-Uni en 2024, mais rien n’y fait : tant qu’il reste sous parapluie onusien, il est intouchable.

Et maintenant ?

Dmytro Firtach peut désormais circuler librement. Son porte-parole n’a pas répondu aux sollicitations, mais l’oligarque n’a jamais caché qu’il se considérait comme victime d’une persécution politique.

Les États-Unis, eux, n’ont pas dit leur dernier mot. Ils pourraient tenter une nouvelle procédure, mais les chances paraissent minces. Onze ans de combat judiciaire pour aboutir à cette issue : le sentiment d’impuissance est palpable à Washington.

Cette affaire illustre parfaitement les zones grises du droit international : quand un régime isolé comme le Bélarus utilise les failles d’organisations onusiennes pour protéger des intérêts privés, c’est tout le système qui vacille.

Et pendant ce temps, à Vienne, les palaces continuent d’accueillir des hôtes très spéciaux…

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