C’est un procès peu ordinaire qui s’est tenu ce jeudi au tribunal judiciaire de Paris. Sur le banc des accusés, Khadija A., une Tunisienne de 43 ans poursuivie pour avoir rejoint en 2015 son demi-frère Boubaker El-Hakim, l’un des chefs français de l’organisation État islamique (EI), en Syrie, avec sa fille alors âgée de seulement quatre ans. Le parquet a requis à son encontre une peine de cinq ans de prison, dont deux ans ferme, qui pourront être effectués sous bracelet électronique à domicile.
Une vie marquée par l’engagement djihadiste de ses proches
Née en 1981 à Tunis, Khadija A. est l’aînée d’une fratrie éclatée, issue d’une mère qui a eu cinq enfants de trois pères différents. Confiée dès l’âge de trois ans à ses grands-parents en Tunisie pendant que sa mère Habiba A. partait en France, elle n’a pas grandi avec ses demi-frères Boubaker et Redouane El-Hakim, qui deviendront tous deux des figures du jihad.
Boubaker El-Hakim, né à Paris en 1983 et tué par une frappe américaine à Raqqa en 2016, était considéré comme l’un des plus hauts gradés français de l’EI. Il a été impliqué dans les attentats de janvier et novembre 2015 à Paris, et avait lui-même revendiqué l’assassinat de deux opposants politiques tunisiens en 2013. Quant à Redouane, il est mort dans un bombardement en Irak en 2004.
Un départ en Syrie sous « l’emprise » maternelle
Mais Khadija A. assure n’avoir rien su de l’engagement djihadiste de ses demi-frères. Elle affirme lors de son procès être partie en Syrie en 2015 non pas « volontairement » mais sous « l’emprise » de sa mère Habiba, qui l’aurait forcée à la suivre avec son enfant. Un argument qui ne convainc qu’à moitié le parquet.
Khadija A. a fait le choix de rejoindre les rangs de l’EI en Irak et en Syrie.
La procureure, rejetant la thèse de la contrainte
Mariée par deux fois à des combattants jihadistes sur place, la prévenue parviendra finalement à fuir la Syrie fin 2015 pour regagner la France, « par le même chemin que les terroristes du 13-Novembre » comme le souligne l’accusation.
La fillette devenue « enfant de l’EI »
La procureure insiste aussi sur la responsabilité de Khadija A. qui a sciemment exposé sa fille, alors âgée de 4 ans, « à une situation de danger compromettant sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation ». L’avocate de la partie civile abonde :
Arrivée en Syrie, la fillette est devenue une enfant de l’EI.
Me Natacha Guilloux-Vandal, avocate de l’association SOS Victimes 93
Surmonter « l’étiquette » de sœur de jihadiste
De leur côté, les avocates de la défense, Mes Clémence Witt et Camille Tardé, ont plaidé la relaxe pour leur cliente, mettant en avant la « contrainte morale » exercée par sa mère et soulignant les efforts de Khadija A. pour s’insérer dans la société française depuis son retour, notamment en travaillant et en élevant sa fille de 14 ans.
Elles dénoncent aussi le poids de « l’étiquette » accolée à la prévenue en raison des agissements de ses demi-frères, et s’opposent aux réquisitions du parquet concernant son inscription au fichier des auteurs d’infractions terroristes (Fijait) et l’interdiction d’exercer une activité en lien avec des mineurs.
Le tribunal rendra sa décision en début de soirée. Il devra déterminer le degré de responsabilité de Khadija A. dans son séjour en zone irako-syrienne, et si sa qualité de sœur et fille de jihadistes doit peser dans la balance. Un jugement délicat sur un destin singulier, marqué par les engagements radicaux d’une famille déchirée.
