Le monde de l’art est en deuil. Frank Auerbach, figure incontournable de la peinture figurative britannique, s’est éteint paisiblement le 11 novembre à son domicile londonien. Il avait 93 ans. Aux côtés de Francis Bacon et Lucian Freud, il formait le trio légendaire de l’école de Londres, mouvement artistique majeur de la seconde moitié du XXe siècle. Sa disparition laisse un grand vide, mais son œuvre, elle, demeure éternelle.
Un destin façonné par l’exil
Né à Berlin en 1931 dans une famille juive, Frank Auerbach a connu très tôt les affres de l’Histoire. Pour échapper aux persécutions nazies, ses parents l’envoient en Angleterre en 1939, dans le cadre du Kindertransport qui sauve des milliers d’enfants juifs. Il ne reverra jamais sa famille, exterminée pendant la Shoah. Naturalisé britannique en 1947, il fait de Londres sa nouvelle patrie et y consacrera toute son œuvre picturale.
Après des études à la St Martin’s School of Art et au Royal College of Art, Auerbach se lance corps et âme dans la peinture. Il trouve rapidement son style si particulier, mêlant expressionnisme et figuration. Portraits et paysages urbains sont ses sujets de prédilection. Pendant plus de 70 ans, il explorera inlassablement ces thèmes depuis son studio du nord de Londres, véritable antre de la création où il vivait et travaillait.
Une technique singulière
Ce qui frappe d’emblée dans les toiles d’Auerbach, c’est l’épaisseur de la matière picturale. L’artiste superpose de nombreuses couches de peinture pour obtenir un effet de texture saisissant. Ses portraits sont intenses, presque palpables. Ses paysages londoniens débordent de vie et de couleurs. À contre-courant des tendances de l’époque, il n’a jamais cédé aux sirènes de l’abstraction, restant fidèle à une peinture figurative vibrante.
Peindre le même sujet jour après jour, c’est comme escalader une montagne pour en atteindre le sommet. Chaque jour on s’approche un peu plus de la vérité.
Frank Auerbach
Une reconnaissance tardive mais éclatante
Si la renommée d’Auerbach fut relativement lente à s’établir, elle n’en est pas moins brillante. En 2015, le musée Tate Britain lui consacre une grande rétrospective qui accroît considérablement sa notoriété. Sur le marché de l’art, ses œuvres atteignent des sommets. En 2023, sa toile “Mornington Crescent” est vendue aux enchères pour plus de 6,6 millions d’euros, un record pour l’artiste.
Son ultime exposition “Frank Auerbach: The Charcoal Heads” s’est tenue en février 2024 à la Courtauld Gallery de Londres. Malheureusement, le maître n’était plus là pour en savourer le succès. Les musées et le monde culturel lui ont rendu un vibrant hommage.
Avec la disparition de Frank Auerbach, c’est un monument de la peinture britannique qui s’en va. Mais son art, puissant et intemporel, continuera à nous émouvoir et à nous interpeller. Car comme le disait le peintre lui-même :
Une peinture n’est jamais terminée, elle se poursuit simplement dans le regard de ceux qui la contemplent.
Frank Auerbach