Imaginez deux pays qui n’entretiennent aucune relation diplomatique officielle se retrouver dans la même pièce, à des milliers de kilomètres de chez eux, sous le regard attentif de la première puissance mondiale. C’est exactement ce qui s’est produit dimanche à New York.
Alors que la trêve à Gaza reste fragile et que les tensions régionales demeurent vives, une rencontre discrète mais hautement symbolique a eu lieu entre représentants israéliens et qataris. Un événement qui, par sa simple existence, en dit long sur l’état actuel des relations au Moyen-Orient.
Un tête-à-tête inattendu sous médiation américaine
La Maison Blanche a confirmé à demi-mot l’existence de cette réunion. Un haut responsable a simplement indiqué qu’elle avait bien eu lieu, sans livrer le moindre détail sur son contenu. Le silence officiel contraste avec l’importance évidente de l’événement.
Ce qui est sûr, c’est que l’émissaire spécial de Donald Trump pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff, a joué le rôle d’hôte. Côté israélien, c’est rien de moins que le directeur du Mossad, David Barnea, qui a fait le déplacement. Une présence qui témoigne du niveau exceptionnel de cette rencontre.
Le contexte : trois mois après la crise de Doha
Pour comprendre l’ampleur du moment, il faut remonter à début septembre. Une frappe israélienne, qualifiée d’inédite, avait alors visé une réunion de négociateurs du Hamas dans la capitale qatarie. Six morts. Un incident qui avait provoqué la colère de Doha et l’embarras de Washington.
Donald Trump lui-même s’était dit “très mécontent” de l’opération. Quelques semaines plus tard, Benjamin Netanyahu présentait des excuses officielles au Qatar. Un geste rare qui ouvrait la voie à une tentative de désescalade.
C’est dans ce contexte tendu qu’avait été annoncé, fin septembre, la création d’un groupe de coordination tripartite États-Unis-Israël-Qatar. Objectif affiché : améliorer la communication, résoudre les différends et prévenir de nouveaux incidents.
La première réunion du mécanisme tripartite
La rencontre de New York serait donc la première concrétisation de ce mécanisme. Un pas en avant significatif, même si tout reste enveloppé de discrétion. Aucun communiqué conjoint, aucune photo, aucun détail sur les points abordés.
Ce mutisme n’a rien de surprenant. Quand deux pays sans relations diplomatiques se parlent directement pour la première fois à ce niveau depuis des années, la confidentialité devient une condition sine qua non du dialogue.
“Il s’agit de la réunion au plus haut niveau entre ces pays depuis l’accord pour mettre fin à la guerre à Gaza”
Source diplomatique anonyme
Le rôle central du Qatar dans le dossier gazaoui
Il est impossible de comprendre cette rencontre sans rappeler le rôle pivotal joué par le Qatar depuis octobre 2023. Le petit émirat du Golfe s’est imposé comme le canal privilégié de communication entre Israël et le Hamas.
Grâce à sa relation unique avec le mouvement palestinien – Doha accueille depuis des années plusieurs de ses dirigeants – le Qatar a été l’architecte principal des négociations indirectes ayant abouti à la trêve actuelle.
Aux côtés de l’Égypte, des États-Unis et de la Turquie, il fait partie des garants de l’accord de cessez-le-feu entré en vigueur le 10 octobre. Un accord fragile, qui repose largement sur la capacité de Doha à maintenir le dialogue avec toutes les parties.
Les exigences qataries pour une trêve durable
Parallèlement à ces discussions secrètes, les déclarations publiques qataries restent fermes. Samedi, le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Cheikh Mohammed ben Abdelrahmane Al-Thani, a été clair.
Pour Doha, la trêve actuelle ne mérite même pas encore le nom de cessez-le-feu. Tant que les forces israéliennes n’auront pas totalement quitté la bande de Gaza, l’accord restera précaire.
“Nous sommes à un moment critique. Nous ne pouvons pas considérer qu’il y a un cessez-le-feu tant qu’il n’y a pas retrait total des forces israéliennes et retour de la stabilité à Gaza.”
Cheikh Mohammed ben Abdelrahmane Al-Thani
Le Qatar, comme l’Égypte, appelle également au déploiement rapide d’une force internationale de stabilisation. Une proposition qui rencontre encore de fortes résistances, notamment du côté israélien.
Une diplomatie à plusieurs vitesses
Ce qui frappe dans cette séquence diplomatique, c’est le contraste entre l’extrême discrétion des discussions directes et la fermeté des déclarations publiques. Une double approche devenue classique dans les négociations moyen-orientales.
D’un côté, des canaux confidentiels permettent de désamorcer les crises et d’explorer des compromis. De l’autre, chaque partie maintient ses positions de principe devant l’opinion publique. Une gymnastique complexe mais souvent efficace.
La rencontre de New York s’inscrit pleinement dans cette logique. Elle montre que, malgré les incidents graves et les divergences profondes, les canaux de communication restent ouverts au plus haut niveau.
Quelles perspectives après New York ?
Difficile de savoir ce qui a été exactement discuté dans ce penthouse new-yorkais. Plusieurs hypothèses circulent dans les cercles diplomatiques. Renforcement des garanties sur la trêve ? Coordination sur la reconstruction de Gaza ? Modalités du retrait israélien ? Prévention de nouveaux incidents ?
Toutes ces questions sont probablement sur la table. Ce qui est certain, c’est que cette rencontre marque une étape importante dans la normalisation progressive des relations entre Israël et le Qatar, même si elle reste strictement fonctionnelle et centrée sur la gestion de crise.
À plus long terme, elle pourrait ouvrir la voie à une coopération plus large, notamment sur les questions humanitaires et la reconstruction de Gaza. Certains observateurs n’excluent pas que ce canal devienne permanent, à l’image de ceux existant avec d’autres pays arabes.
Dans un Moyen-Orient où les alliances se font et se défont à grande vitesse, la capacité de deux acteurs que tout oppose à se parler directement constitue déjà, en soi, une forme de succès diplomatique. La réunion de New York, aussi discrète soit-elle, pourrait bien être l’un de ces petits événements qui, avec le recul, apparaissent comme des tournants.
Pour l’instant, le silence officiel continue de régner. Mais derrière ce silence, quelque chose bouge. Et dans cette région du monde, c’est souvent quand on parle le moins qu’il se passe le plus.









