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Deux Françaises Condamnées à 10 Ans en Turquie pour Cannabis

Elles pensaient simplement faire un voyage pas cher en Asie du Sud-Est. Aujourd’hui elles purgent dix ans ferme en Turquie pour 25 kilos de cannabis. Comment deux jeunes femmes de 22 et 23 ans ont-elles pu se retrouver dans un tel cauchemar ?

Imaginez : vous avez vingt-deux ou vingt-trois ans, vous rêvez d’un voyage exotique à petit prix, on vous propose un billet d’avion quasi gratuit en échange de deux valises à acheminer… et quelques mois plus tard vous vous retrouvez condamnée à dix ans de prison ferme dans un pays à plus de 3 000 kilomètres de chez vous.

C’est la réalité brutale que vivent depuis bientôt dix mois deux jeunes Françaises dont le seul tort apparent semble avoir été de faire confiance à de mauvaises personnes.

Un voyage qui promettait d’être une aubaine

Tout commence par une offre alléchante sur les réseaux sociaux ou via des contacts dans les cercles de voyageurs à petit budget. Un aller-retour Paris-Bangkok avec escale, pour un prix défiant toute concurrence : quelques centaines d’euros au lieu des 800-1200 € habituels de l’époque.

La condition ? Prendre en charge deux valises supplémentaires et les déposer à l’arrivée. Rien d’exceptionnel pour qui a déjà voyagé en low-cost avec des amis ou en groupe. Beaucoup acceptent ce genre de « deal » sans se poser trop de questions… du moins au début.

L’escale fatale d’Istanbul

Le 28 février, lors de leur transit à l’aéroport international d’Istanbul, les deux jeunes femmes sont contrôlées de manière approfondie par les douanes turques. Dans leurs bagages enregistrés : environ 24 à 25 kilos de résine de cannabis soigneusement dissimulés dans des doubles-fonds et des emballages sous vide.

La stupeur. Elles affirment n’avoir jamais vu cette marchandise auparavant, n’avoir jamais touché à la drogue de leur vie, et surtout n’avoir jamais imaginé que les valises pouvaient contenir autre chose que des vêtements ou des souvenirs.

« J’espérais un peu d’indulgence… je pensais qu’on verrait qu’on avait été manipulées. »

Extrait d’une des deux jeunes femmes lors du procès

Les enquêteurs turcs, eux, ne l’entendent pas de cette oreille. Pour les autorités, la quantité est énorme, la dissimulation très professionnelle et le trajet Thaïlande → Turquie → France correspond parfaitement au schéma classique du trafic de cannabis vers l’Europe occidentale via la plaque tournante stambouliote.

La machine judiciaire turque se met en route

En Turquie, le trafic de stupéfiants est sanctionné avec une extrême sévérité, même pour des quantités qui seraient considérées comme intermédiaires en France. La loi prévoit des peines plancher très lourdes dès que la quantité dépasse quelques kilos.

Pour 25 kilos de résine, le quantum encouru va de 10 ans à la perpétuité. Les juges ont ici prononcé la peine minimale légale : dix ans de prison ferme chacun, assortis d’une amende de 100 000 livres turques par personne (environ 2 000 €).

Pour beaucoup d’observateurs en France, cette sévérité choque. Pourtant, elle est parfaitement conforme au droit turc actuel, qui n’a cessé de durcir depuis 2016-2017 sur les questions de stupéfiants.

Vraies victimes ou mules conscientes ? Le grand débat

L’opinion publique se divise très vite en deux camps bien tranchés :

  • Celles qui considèrent qu’il s’agit de deux jeunes femmes très naïves, manipulées par des réseaux organisés qui ciblent précisément les profils les plus vulnérables (petits budgets, envie de voyager, peu d’expérience internationale)
  • Celles qui estiment qu’à 22-23 ans on est responsable de ses actes, que transporter des valises dont on ne connaît pas le contenu contre un avantage financier est déjà un comportement objectivement suspect et dangereux

La vérité judiciaire est rarement aussi manichéenne. Dans la très grande majorité des cas documentés ces dernières années, les « mules » recrutées en Europe occidentale pour ce type de trajet sont effectivement des personnes qui ne font pas partie du noyau dur du trafic. Elles sont utilisées précisément parce qu’elles inspirent moins de soupçons aux contrôles.

Comment repérer les signaux d’alerte (et pourquoi on ne les voit pas toujours)

Avec le recul, plusieurs éléments auraient dû alerter :

  1. Le prix du billet est anormalement bas (parfois 70 à 90 % moins cher que le tarif normal)
  2. Le billet est réservé par un tiers inconnu et on vous donne simplement le numéro de réservation
  3. On vous demande de prendre en charge des bagages supplémentaires sans pouvoir les ouvrir ni vérifier le contenu
  4. Le contact disparaît ou devient évasif dès que vous posez trop de questions
  5. La destination finale implique un transit dans un pays réputé très sévère sur les stupéfiants (Turquie, Émirats arabes unis, Singapour, Indonésie, Malaisie…)

Pourtant, même avec ces signaux, beaucoup de jeunes gens tombent dans le panneau, surtout quand le recruteur prend le temps de les mettre en confiance pendant plusieurs semaines.

Que peut faire la France pour ses ressortissants dans ce cas ?

Le ministère des Affaires étrangères accompagne les familles et apporte une assistance consulaire, mais ses marges de manœuvre restent limitées :

  • Visites régulières en prison
  • Mise en relation avec des avocats locaux compétents
  • Transmission de courrier et de colis
  • Appui psychologique aux familles
  • Dans de très rares cas : demande de transfert de peine en France (très difficile quand la condamnation n’est pas définitive)

Le transfert effectif de peine reste exceptionnel. La Turquie n’a signé la convention de Strasbourg de 1983 qu’avec de nombreuses réserves, et elle exige notamment que la personne ait déjà purgé une partie significative de la peine sur son sol.

Le business des « valises sponsorisées » en chiffres

Personne ne connaît le volume exact, mais les services de police français et européens estiment que plusieurs centaines de jeunes Européens sont approchés chaque année par ce type de proposition.

Sur ces contacts, une toute petite partie accepte (peut-être 5 à 15 % selon les années et les filières). Parmi ceux qui acceptent, une proportion non négligeable se fait intercepter, surtout lors des transits à Istanbul, Dubaï, Doha ou Addis-Abeba.

La Turquie reste l’un des pays qui interpelle le plus de « mules » européennes ces dernières années, devant les Émirats arabes unis et l’Indonésie.

Que risquent réellement les mules aujourd’hui ?

PaysPeine type pour 20-30 kg de cannabisLibération conditionnelle envisageable après
Turquie10 ans → perpétuité≈ 6-7 ans
Émirats arabes unis7 à 15 ans + amende≈ 5 ans
Indonésie5 ans → perpétuitéTrès rare
France (si interpellée à l’arrivée)5 à 10 ans (souvent avec sursis partiel)1 à 4 ans

Le contraste est saisissant.

Et maintenant ?

Pour les deux jeunes femmes, l’avenir immédiat est très sombre. Appel possible, mais les chances de voir la peine fortement réduite restent faibles au vu de la quantité et du type de produit. La meilleure hypothèse réaliste à court terme serait une libération conditionnelle après environ 6 à 7 ans, avec très probablement obligation de quitter le territoire immédiatement après.

Leur affaire rappelle cruellement une réalité que beaucoup préfèrent ignorer : dans le monde des stupéfiants, il n’existe pas vraiment de « petites mains innocentes ». Même la mule qui n’a jamais touché à la marchandise est un maillon essentiel de la chaîne, et les pays de transit ou de destination n’hésitent plus à faire des exemples avec des profils qui sembleraient « excusables » en France.

Alors que les réseaux sociaux continuent de faire circuler des offres de voyages « trop belles pour être vraies », le message est limpide : quand le billet est presque gratuit et que les valises ne vous appartiennent pas… il y a fort à parier que vous êtes en train de payer le prix le plus élevé qui soit.

Un prix qui se compte aujourd’hui en années de vie volées, à des milliers de kilomètres de chez soi.

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