Le vent semble tourner au Parlement Européen sur la question brûlante de l’immigration. Dans un vote historique, l’ensemble des groupes de droite se sont en effet coalisés pour adopter deux amendements majeurs visant à renforcer le contrôle des frontières extérieures de l’UE et à mettre en place des plateformes de retour pour les migrants en situation irrégulière. Une première qui marque un changement notable dans l’approche de la droite européenne sur ce sujet sensible.
La fin du « cordon sanitaire » sur l’immigration ?
Jusqu’à présent, une ligne de fracture traversait la droite européenne sur la question migratoire. D’un côté, les partis modérés comme le PPE prônaient une approche équilibrée entre fermeté et humanité. De l’autre, les formations nationales souverainistes réclamaient des mesures beaucoup plus restrictives, souvent jugées radicales par leurs partenaires. Résultat : aucune majorité claire ne se dégageait pour réformer en profondeur la politique migratoire européenne.
Mais les lignes ont bougé avec ce vote. Pour la première fois, tous les groupes de droite ont fait bloc derrière les propositions portées par le groupe Europe des Nations Souveraines (ENS). « C’est une première que tous les groupes de droite se coalisent pour protéger nos peuples de l’immigration. Espérons que ce soit le premier de nombreux combats communs », s’est félicitée Sarah Knafo, vice-présidente de l’ENS et figure montante de la droite nationaliste française.
Même le PPE, pourtant historiquement modéré sur ces questions, a voté les amendements. Un revirement significatif. « Le PPE ne peut plus fermer les yeux sur l’urgence migratoire. Nos électeurs attendent des actes forts », a justifié Manfred Weber, président du groupe. Les Républicains français emmenés par François-Xavier Bellamy ont aussi apporté leurs voix.
Les 2 amendements adoptés
Concrètement, le premier amendement prévoit de renforcer considérablement les moyens alloués à Frontex, l’agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes. Il s’agira notamment de déployer davantage d’agents le long des frontières extérieures, en particulier en Méditerranée et dans les Balkans, pour lutter contre les entrées illégales sur le territoire européen.
Le second texte est encore plus novateur. Il acte la création de « plateformes de retour » dans des pays tiers, probablement en Afrique du Nord, où seront renvoyés les migrants dont la demande d’asile aura été rejetée. L’objectif : accélérer les procédures d’expulsion du territoire européen. Un mécanisme qui s’inspire directement de l’accord passé en 2016 entre l’UE et la Turquie.
Il est temps que l’Europe reprenne le contrôle de ses frontières. Ces plateformes de retour sont un outil indispensable pour dissuader l’immigration illégale.
Gérald Darmanin, ministre français de l’Intérieur
Quel impact sur le terrain ?
Si ces votes sont hautement symboliques, leur impact concret reste à démontrer. Car pour entrer en vigueur, les amendements devront encore être validés par le Conseil européen, qui réunit les chefs d’État et de gouvernement des 27. Or plusieurs pays, notamment en Europe du Sud, pourraient faire barrage.
Par ailleurs, la mise en œuvre pratique de ces mesures s’annonce complexe. Le déploiement de Frontex nécessitera des moyens humains et financiers colossaux. Quant aux fameuses « plateformes de retour », encore faut-il trouver des pays hôtes, ce qui est loin d’être gagné.
Enfin, ces dispositifs ne règlent pas le fond du problème : les causes profondes des migrations que sont les guerres, le réchauffement climatique ou la misère. « Il faudra plus que des barrières et des camps pour juguler l’immigration. L’Europe doit investir massivement dans le développement des pays d’origine », rappelle l’eurodéputé vert Damien Carême.
Vers une Europe forteresse ?
Au-delà de leur efficacité, ces amendements posent surtout la question de l’évolution du projet européen. Sommes-nous en train de basculer vers une « Europe forteresse », repliée sur elle-même et obsédée par le contrôle de ses frontières ? C’est la crainte de nombreuses ONG.
La course au durcissement sur l’immigration est inquiétante. L’Europe ne doit pas tourner le dos à ses valeurs d’accueil et d’ouverture.
Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France
D’autres pointent le risque de déshumanisation et de violation des droits fondamentaux des migrants. Des dérives déjà observables selon des rapports du Conseil de l’Europe et des Nations Unies. Autant de signaux alarmants alors que le continent fait face à des défis migratoires inédits, avec un nombre record de demandes d’asile en 2023.
Une chose est sûre : loin des postures, ce vote historique au Parlement européen appelle une réflexion de fond sur le modèle de société que nous voulons bâtir. Entre repli sécuritaire et hospitalité, entre peurs et solidarité. Un débat existentiel pour l’avenir du projet européen, et plus largement pour nos démocraties.