Imaginez un groupe WhatsApp nommé simplement « 100 ». Dedans, des messages qui glaçant le sang. Un jeune de 16 ans annonce qu’il va « tuer des Juifs dans cinq jours » et poste une photo de lui, couteau à la main, regard déterminé. Ce n’est pas un jeu vidéo. C’est la réalité que la DGSI a interceptée fin novembre 2025.
Un rajeunissement brutal de la menace djihadiste
Ils n’ont que seize ans. Pourtant, ces deux adolescents viennent d’être mis en examen pour association de malfaiteurs terroriste criminelle et placés en détention provisoire. Ce sont les 19e et 20e mineurs poursuivis pour terrorisme depuis janvier 2025. Un record absolu qui illustre à quel point la menace évolue vite, et mal.
Leur projet ? Une action violente ciblant spécifiquement des lieux ou personnes juives. Leur inspiration ? L’idéologie de l’État islamique, toujours vivace malgré la chute du califat territorial. Leur outil ? Les réseaux sociaux et messageries cryptées qui permettent à la propagande djihadiste de toucher les plus jeunes, partout, tout le temps.
Un migrant tchétchène arrivé il y a quatre ans au cœur du dossier
L’un des deux mis en cause vit à Strasbourg. Originaire de Tchétchénie, il est arrivé en France avec sa mère en 2021. Quatre ans à peine pour passer du statut de jeune migrant à celui de suspect numéro un dans une enquête antiterroriste. Le parcours pose question.
Sur la photo qu’il diffuse lui-même, il pose en tenue de combat improvisée, couteau bien visible. Le message est clair : il se voit déjà en soldat du califat. Comment un adolescent peut-il basculer aussi vite ? Les enquêteurs parlent d’une radicalisation fulgurante, nourrie par des contenus en ligne consommés massivement.
Son complice, résidant en région parisienne, partage la même idéologie et participe activement à l’élaboration du projet. Les deux échangent régulièrement, se motivent, planifient. Aucun n’a encore 18 ans.
WhatsApp, terreau fertile de la nouvelle génération djihadiste
Le groupe « 100 » n’est pas isolé. Il réunit des individus déjà repérés ou surveillés pour leur soutien à Daech. On y trouve des appels au meurtre, des tutoriels de fabrication d’explosifs, des vidéos de décapitation commentées comme des trophées. Tout est là, à portée de clic.
Ce qui frappe les services de renseignement, c’est la vitesse de contagion. Un jeune curieux clique sur une vidéo, puis une autre, rejoint un salon Telegram, puis un groupe WhatsApp fermé. En quelques mois, parfois quelques semaines, il passe de l’adolescence banale à la haine absolue.
« On observe une accélération jamais vue du processus de radicalisation chez les mineurs. Les 15-17 ans représentent désormais près d’un tiers des signalements pour apologie du terrorisme. »
Source proche des services de renseignement, 2025
L’antisémitisme, cible privilégiée des nouveaux partisans de Daech
Pourquoi les Juifs ? Parce que l’État islamique a toujours fait de l’antisémitisme un pilier de sa propagande. Les discours de Baghdadi, les vidéos de l’organisation, les magazines comme Dabiq ou Rumiyah appellent systématiquement à frapper « les croisés et les juifs ».
Cette haine n’a pas disparu avec la perte du territoire. Elle s’est même renforcée sur internet, où des influenceurs djihadistes continuent de diffuser théories du complot et appels au meurtre. Le conflit israélo-palestinien, amplifié et déformé sur les réseaux, agit comme un catalyseur puissant auprès de certains jeunes.
Résultat : les projets d’attentat à caractère antisémite se multiplient. Synagogues, écoles juives, commerces casher… aucune cible n’est épargnée dans les fantasmes mortifères de ces adolescents.
2025, l’année du basculement
Avec vingt mineurs poursuivis en onze mois, 2025 marque un tournant. Jamais la justice antiterroriste n’avait traité autant de dossiers impliquant des adolescents. Et le phénomène ne faiblit pas : chaque mois apporte son lot de nouvelles interpellations.
- Janvier-février : 4 mineurs interpellés pour projet d’attentat au couteau
- Mars-avril : 5 nouveaux dossiers, dont deux collégiens
- Mai-juin : record avec 6 procédures ouvertes
- Et maintenant ces deux nouveaux cas fin novembre
Les profils sont variés : convertis, enfants de familles musulmanes pratiquantes ou non, bons élèves ou décrocheurs, urbains ou ruraux. Ce qui les unit ? L’exposition massive à la propagande en ligne et une colère qu’ils croient légitime.
Comment en est-on arrivé là ?
Plusieurs facteurs convergent. D’abord, la persistance de l’idéologie takfiri malgré la défaite militaire. Ensuite, l’éclatement de la menace : plus de structure hiérarchique claire, mais des milliers de « loup solitaires » ou micro-cellules auto-radicalisées.
Les plateformes jouent aussi leur rôle. Si Telegram reste le canal privilégié, WhatsApp, avec son chiffrement de bout en bout, devient un outil de choix pour les échanges opérationnels. Les groupes y sont plus petits, plus discrets, plus difficiles à infiltrer.
Enfin, la crise de l’autorité et du sens chez certains jeunes crée un terrain fertile. Quand on a 15 ou 16 ans et qu’on ne trouve plus de repères, l’utopie mortifère du califat peut apparaître comme une réponse, aussi absurde que cela paraisse.
Que fait l’État face à cette vague ?
La réponse est à plusieurs niveaux. D’abord répressif : la DGSI a considérablement renforcé ses capacités de surveillance des mineurs signalés. Les signalements Pharos explosent, les enquêtes préliminaires se multiplient.
Ensuite judiciaire : le parquet national antiterroriste n’hésite plus à placer des mineurs en détention provisoire quand le danger est avéré. Une évolution notable ces dernières années.
Mais la prévention reste le parent pauvre. Les programmes de déradicalisation peinent à suivre le rythme. Les établissements scolaires, souvent démunis, signalent mais ne savent plus comment agir en amont.
Et demain ?
La question qui hante tous les services : jusqu’où cette tendance va-t-elle aller ? Va-t-on voir des collégiens de 13-14 ans passer à l’acte ? Les spécialistes le craignent. Certains dossiers récents concernent déjà des enfants de 14 ans en phase de radicalisation avancée.
Ce qui est sûr, c’est que la menace djihadiste, loin de disparaître, se transforme. Elle devient plus diffuse, plus jeune, plus imprévisible. Et donc plus difficile à combattre.
Dans les quartiers, dans les campagnes, dans les bonnes comme les mauvaises familles, des adolescents grandissent avec la haine au cœur. Et parfois, un simple smartphone suffit pour transformer cette haine en projet de mort.
L’affaire de ces deux jeunes de 16 ans n’est pas un épiphénomène. C’est un signal d’alarme. Fort. Et qu’on ne pourra plus ignorer bien longtemps.









