Imaginez-vous réveillé par une notification sur votre téléphone : des images de pneus en flammes, des rumeurs de coups de feu, et des messages alarmants sur un prétendu soulèvement populaire dans les rues d’Abidjan. Pourtant, sur place, tout est calme. Ce scénario n’est pas fictif : il reflète une campagne de désinformation orchestrée pour semer le chaos en Côte d’Ivoire à l’approche de l’élection présidentielle du 25 octobre 2025. Des acteurs liés aux juntes sahéliennes, notamment du Burkina Faso, manipulent les réseaux sociaux pour déstabiliser les institutions ivoiriennes. Comment ces campagnes fonctionnent-elles, et pourquoi visent-elles la Côte d’Ivoire ? Plongeons dans cette guerre numérique invisible.
Une Élection sous Pression Numérique
À l’approche du scrutin présidentiel ivoirien, les réseaux sociaux sont devenus un champ de bataille. Des publications alarmistes, souvent relayées par des comptes influents, cherchent à semer la panique. Par exemple, le samedi matin où la police dispersait de petits groupes à Abidjan, certains profils ont exagéré l’ampleur des événements, décrivant un soulèvement populaire avec des images de véhicules incendiés. Problème : ces photos provenaient d’événements datant de plusieurs années, parfois même d’autres pays comme Haïti ou la Guinée.
Ces manipulations ne datent pas d’hier. Depuis des mois, des rumeurs circulent, allant de la fausse annonce de la mort du président Alassane Ouattara à des allégations de coups d’État. Ces campagnes visent à fragiliser la confiance dans les institutions et à perturber le processus électoral. Mais qui se cache derrière ces manœuvres, et quelles sont leurs motivations ?
Les Acteurs de la Désinformation : un Réseau Sahélien
Les enquêtes menées par l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI) d’Abidjan pointent du doigt des comptes liés aux juntes militaires sahéliennes, notamment au Burkina Faso. Ces profils, souvent suivis par des dizaines de milliers d’abonnés, diffusent des contenus manipulés avec une efficacité redoutable. Parmi les acteurs clés, on retrouve les Bataillons d’Intervention Rapide de la Communication (BIR-C), un groupe de cyberactivistes burkinabè dirigé par des figures influentes comme Ibrahima Maïga, basé aux États-Unis et fort de 1,3 million d’abonnés sur Facebook.
Les BIR-C excellent dans l’art de détourner l’actualité pour créer des récits manipulateurs, diffusés rapidement via des comptes à forte audience.
Jérémy Cauden, co-directeur d’Afriques Connectées
Les investigations révèlent également des liens avec des proches du capitaine Ibrahim Traoré, chef de la junte burkinabè. Kassoum Traoré, chargé de la communication numérique, et son frère Inoussa, conseiller spécial en économie numérique, seraient impliqués dans la coordination de ces campagnes. Leur stratégie repose sur une diffusion rapide et coordonnée de fausses informations, souvent amplifiées par des visuels truqués, comme des captures d’écran falsifiées attribuées à des médias internationaux.
Des Méthodes Sophistiquées pour un Impact Maximal
La force des campagnes de désinformation réside dans leur capacité à exploiter l’actualité en temps réel. Par exemple, lors d’une manifestation pacifique de l’opposition à Abidjan le 9 août, des comptes sahéliens ont prétendu que des coups de feu avaient éclaté, faisant des dizaines de morts. En réalité, aucun incident violent n’a été signalé. Ces récits mensongers, relayés par des comptes influents, visent à créer une impression de chaos et à inciter au désordre.
Les techniques utilisées incluent :
- Recyclage d’images : utilisation de photos anciennes ou hors contexte pour illustrer de fausses nouvelles.
- Faux visuels : création de captures d’écran ou d’infographies attribuées à des médias crédibles.
- Coordination numérique : diffusion simultanée par des réseaux de comptes interconnectés.
- Amplification émotionnelle : exploitation de récits alarmistes pour susciter la peur ou la colère.
Ces méthodes permettent aux cyberactivistes de capter l’attention et de manipuler l’opinion publique. En mars dernier, une rumeur sur la prétendue mort d’Alassane Ouattara a été propagée à l’aide de fausses publications attribuées à des médias comme France 24 ou Jeune Afrique. Ces contenus, bien que grossiers pour les observateurs avertis, ont été massivement partagés par des sympathisants de l’opposition ivoirienne.
Pourquoi la Côte d’Ivoire est-elle Visée ?
La Côte d’Ivoire, sous la présidence d’Alassane Ouattara, représente une cible stratégique pour les juntes sahéliennes. Ouattara s’est montré ferme face aux coups d’État qui ont porté des régimes militaires au pouvoir au Burkina Faso, au Mali et au Niger entre 2020 et 2022. Contrairement à ces pays, qui ont rompu avec la France pour se rapprocher de la Russie dans une logique souverainiste, la Côte d’Ivoire maintient des relations étroites avec l’ancienne puissance coloniale.
En déstabilisant le processus électoral ivoirien, les juntes cherchent à discréditer les démocraties voisines pour justifier leur propre maintien au pouvoir. Comme l’explique Beverly Ochieng, analyste chez Control Risks :
Déstabiliser la Côte d’Ivoire permet aux juntes de détourner l’attention de leurs propres transitions et de présenter les démocraties comme des systèmes fragiles.
Beverly Ochieng, analyste à Control Risks
Les récits véhiculés par ces campagnes incluent des accusations de coups d’État imminents, des soulèvements populaires fictifs et des allégations selon lesquelles la France soutiendrait le pouvoir ivoirien. Ces narratifs visent à alimenter la méfiance envers les institutions et à fragiliser la candidature d’Ouattara à un quatrième mandat.
Le Rôle des Puissances Étrangères
Bien qu’aucune preuve directe n’implique la Russie dans ces campagnes spécifiques, des chercheurs soulignent que Moscou a déjà soutenu des opérations d’influence similaires dans le Sahel. Les juntes du Burkina Faso, du Mali et du Niger ont bénéficié de l’expertise russe pour amplifier leur propagande, notamment via des réseaux sociaux et des médias alternatifs. Cette collaboration renforce la portée des messages anti-ivoiriens et anti-occidentaux.
En parallèle, la Côte d’Ivoire a mis en place un plan de riposte pour contrer ces menaces numériques. Selon une source sécuritaire ivoirienne, ce plan identifie les menaces quotidiennes, évalue leur impact et définit des réponses adaptées. Ce dispositif, qui restera en place avant, pendant et après les élections, inclut des poursuites judiciaires contre les responsables de désinformation.
Type de Désinformation | Exemple | Objectif |
---|---|---|
Fausse rumeur | Mort supposée d’Alassane Ouattara | Semer le doute et la panique |
Images manipulées | Photos de pneus en feu d’un autre pays | Créer une impression de chaos |
Faux récits | Allégations de coup d’État | Inspirer la méfiance envers le pouvoir |
La Réponse Ivoirienne : Une Bataille pour l’Information
Face à cette offensive numérique, la Côte d’Ivoire ne reste pas passive. Une campagne de sensibilisation intitulée L’infox divise, l’information rassemble est déployée dans les rues d’Abidjan. Des affiches et des messages appellent les citoyens à vérifier les informations avant de les partager. Parallèlement, les autorités judiciaires poursuivent les responsables de fausses nouvelles, bien que les détails de ces actions restent confidentiels.
Ce plan de riposte s’appuie sur une surveillance accrue des réseaux sociaux et une collaboration avec des experts en cybersécurité. L’objectif est clair : protéger l’intégrité du scrutin et maintenir la stabilité du pays face à des ingérences extérieures. Mais dans un monde où l’information circule à la vitesse de la lumière, contrer la désinformation reste un défi de taille.
Un Enjeu Régional et Global
La campagne de désinformation visant la Côte d’Ivoire n’est pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans un contexte régional où les juntes sahéliennes cherchent à consolider leur pouvoir en affaiblissant les démocraties voisines. En discréditant des pays comme la Côte d’Ivoire, ces régimes militaires espèrent détourner l’attention de leurs propres défis internes, comme les transitions politiques inachevées ou les crises économiques.
Sur le plan global, cette situation illustre l’émergence d’une nouvelle forme de guerre : la manipulation de l’information. Les réseaux sociaux, avec leur portée massive, sont devenus des armes puissantes pour influencer les opinions et déstabiliser les institutions. La Côte d’Ivoire, avec son scrutin crucial, est un terrain d’expérimentation pour ces stratégies numériques.
Pour contrer la désinformation, les citoyens peuvent :
- Vérifier les sources des informations avant de les partager.
- Se méfier des images ou vidéos sans contexte clair.
- Consulter des médias fiables pour confirmer les faits.
- Signaler les contenus suspects sur les plateformes sociales.
Alors que le 25 octobre approche, la Côte d’Ivoire se trouve à un carrefour. La bataille pour l’information est aussi cruciale que celle des urnes. En restant vigilants, les Ivoiriens peuvent protéger leur démocratie face aux manipulations venues de l’extérieur. Mais une question demeure : jusqu’où iront ces campagnes pour influencer le futur du pays ?