C’est une victoire symbolique majeure pour les rebelles karen de Birmanie. Après trois décennies d’exil, l’Union nationale karen (KNU) a reconquis son quartier général historique de Manerplaw, situé à la frontière thaïlandaise. Un dirigeant de ce groupe armé, qui lutte depuis des années pour l’autonomie de la minorité karen, a confirmé mardi avoir repris le contrôle du site après plusieurs jours d’intenses combats contre les troupes de la junte au pouvoir.
La perte de Manerplaw en 1995 avait été un coup dur pour la rébellion karen. Pendant des années, cette base avait été le cœur de leur résistance armée, abritant aussi de nombreux opposants politiques birmans. Mais des dissensions internes, exploitées par le régime militaire, avaient précipité sa chute, poussant des milliers de civils à fuir vers la Thaïlande voisine.
Un lieu chargé d’histoire et de symbolique
Comme le souligne Saw Thamain Tun, un des chefs de la KNU, Manerplaw revêt une valeur particulière pour les Karen. Ce bastion de la lutte pour leurs droits abrite les tombes d’une centaine de leurs combattants tombés au fil des ans. Sa reprise est donc avant tout un hommage à leur sacrifice. Le dirigeant rebelle a affirmé vouloir reconstruire le site pour honorer leur mémoire.
Mais la reprise de Manerplaw a aussi une portée stratégique et politique. Depuis le coup d’État de 2021 qui a replongé la Birmanie dans la dictature, la KNU s’est de nouveau opposée frontalement à la junte. Elle a notamment offert refuge et entraînement à de jeunes opposants des villes, fondant ces « forces de défense du peuple » qui harcèlent les militaires à travers le pays.
La junte ne compte pas en rester là
Cependant, l’armée birmane ne semble pas prête à abandonner Manerplaw sans combattre. D’après Saw Thamain Tun, la junte tente de reprendre la base en bombardant les positions rebelles avec des drones. Les affrontements à la frontière thaïlandaise risquent donc de se poursuivre, prolongeant le calvaire des populations civiles prises entre deux feux.
La Birmanie est en proie à des troubles depuis le coup d’État de 2021, qui a relancé les combats avec des groupes rebelles ethniques et des militants des « forces de défense du peuple » pro-démocratiques qui affrontent l’armée dans tout le pays.
Selon les Nations unies, plus de trois millions de personnes ont été déplacées par les combats. Les affrontements font régulièrement fuir des milliers de personnes à travers la frontière avec la Thaïlande, qui s’étend sur 2 400 kilomètres.
Un pays déchiré par les conflits ethniques
Le sort des Karen illustre la mosaïque de conflits qui déchire la Birmanie depuis son indépendance en 1948. Cette ancienne colonie britannique, grande comme deux fois la France, abrite une multitude de minorités qui réclament plus d’autonomie, voire l’indépendance, face à la majorité bouddhiste bamar.
Malgré des accords de cessez-le-feu dans les années 2010, la méfiance demeure et les violences n’ont jamais totalement cessé. L’armée, qui domine la vie politique birmane depuis 1962, a toujours refusé un véritable fédéralisme qui menacerait l’unité du pays et ses propres intérêts économiques dans les régions périphériques riches en ressources naturelles.
Le coup d’État a ravivé les braises
Le putsch du 1er février 2021, qui a renversé le gouvernement civil d’Aung San Suu Kyi, a donné un nouveau souffle aux rébellions ethniques. Face à la répression sanglante des manifestations pacifiques, une partie de la jeunesse urbaine s’est tournée vers la lutte armée, trouvant des alliés naturels chez les guérillas des périphéries.
Aujourd’hui, la Birmanie apparaît plus que jamais comme une poudrière, avec des affrontements quotidiens aux quatre coins du pays. La reprise de Manerplaw par la KNU en est le symbole. Mais au-delà de cette victoire emblématique, le chemin vers une paix durable et inclusive semble encore très long et semé d’embûches pour les peuples de Birmanie.