C’est un revers cuisant pour la Miviludes. La mission gouvernementale de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires a été condamnée par le tribunal administratif de Paris à retirer plusieurs passages de son rapport d’activité 2018-2020 qui mettaient en cause les Témoins de Jéhovah. Une décision qui fait suite à un recours déposé par ce mouvement religieux controversé.
Une “erreur de fait” pointée par la justice
Selon le jugement rendu le 14 juin, la Miviludes a commis une “erreur de fait” en accusant les Témoins de Jéhovah de dissuader leurs membres de faire appel à la justice, même en cas de “problématiques infractionnelles graves”, et de décourager les enfants de poursuivre des études longues.
Le tribunal a estimé que les éléments cités par la Miviludes pour étayer ces accusations – des extraits de publications internes, des témoignages anciens et une étude américaine – n’étaient pas probants pour “qualifier le risque sectaire en France”. Il a donc enjoint au ministre de l’Intérieur de “procéder dans un délai de quinze jours à la suppression des passages litigieux”.
Les Témoins de Jéhovah dénoncent des “calomnies”
De leur côté, les Témoins de Jéhovah se sont “réjouis” de cette décision qui vient confirmer, selon eux, que leurs “croyances et pratiques religieuses sont parfaitement légales”, comme l’ont déjà statué plus de 70 décisions de la Cour européenne des droits de l’homme.
Le mouvement a par ailleurs produit des documents certifiant qu’il a bien effectué des signalements à la justice lorsque nécessaire. Mais il dénonce la présence au sein du gouvernement d’un “organisme qui répand de fausses informations et des calomnies à l’encontre de minorités religieuses”.
Bien que cette issue soit satisfaisante, la présence au sein du gouvernement français d’un organisme qui répand de fausses informations et des calomnies à l’encontre de minorités religieuses (…) reste problématique.
Coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience
La lutte contre les sectes en question
Cette condamnation de la Miviludes pose plus largement la question de son rôle et de ses méthodes dans la lutte contre les dérives sectaires. Si personne ne remet en cause la nécessité de protéger les individus contre l’emprise mentale et les abus, certains s’interrogent sur la frontière parfois ténue avec la liberté de croyance et de culte.
Le “délit de manipulation mentale”, introduit dans la loi en 2001 après le drame de l’Ordre du Temple Solaire, reste en effet difficile à caractériser et prouver sur le plan pénal. D’où le recours fréquent à des notions plus floues comme “l’emprise”, les “pressions” ou la “sujétion psychologique”, qui ouvrent la porte à des appréciations subjectives.
De plus, la Miviludes se voit régulièrement accusée par les groupes qu’elle cible de partialité, de procès d’intention et d’atteinte à la présomption d’innocence, comme l’illustre l’affaire des Témoins de Jéhovah. Son approche “à charge” est parfois perçue comme une forme de discrimination envers certains nouveaux mouvements religieux ou spirituels.
Rester vigilants sans stigmatiser
Faut-il pour autant renoncer à toute vigilance sous prétexte de liberté religieuse ? Certainement pas, estiment de nombreux spécialistes. Les sectes et mouvements déviants n’ont pas disparu, ils se sont adaptés et ont investi de nouveaux champs comme le développement personnel, le coaching ou les médecines alternatives.
Il s’agit donc de trouver le juste équilibre entre la prévention des risques et le respect des droits fondamentaux. Un équilibre qui passe sans doute par une approche plus nuancée et au cas par cas, loin des généralisations hâtives et des amalgames réducteurs.
Il faut à la fois ne pas baisser la garde face aux vraies dérives sectaires, tout en évitant de tomber dans l’excès inverse de la suspicion et de la stigmatisation systématiques. C’est un travail de discernement permanent.
Romy Sauvayre, sociologue spécialiste des croyances
Cette condamnation de la Miviludes est donc l’occasion de repenser et affiner les outils de lutte contre les dérives sectaires, afin de protéger les plus vulnérables sans porter atteinte aux libertés des groupes religieux ou spirituels qui ne présentent pas de danger. Un défi complexe, mais nécessaire pour notre société.