Imaginez un instant : un ministre en exercice, costume impeccable, qui annonce devant les caméras qu’il quitte son poste. Rien d’exceptionnel en politique… sauf quand la raison invoquée est une série de cadeaux douteux provenant d’une organisation aussi puissante que controversée. C’est exactement ce qui vient de se produire en Corée du Sud et, croyez-moi, l’affaire sent le soufre.
Un ministre des Océans poussé vers la sortie
Jeudi matin, Chun Jae-soo, ministre sud-coréen des Océans et des Pêches, a créé la surprise en présentant sa démission. L’homme, ancien député respecté, n’a pas résisté à la pression médiatique grandissante. Les accusations sont lourdes : il aurait reçu, entre 2018 et 2020, environ 30 millions de wons en espèces (près de 17 400 euros) ainsi que deux montres de luxe. Le donateur présumé ? L’Église de l’Unification, plus connue sous le nom de secte Moon.
Devant les journalistes, le ministre a tenté de sauver la face : « En tant que responsable public, la bonne attitude est de démissionner et de répondre avec honnêteté aux enquêteurs. » Il a nié toute faute, affirmant quitter son poste pour ne pas gêner l’action du gouvernement. Une explication qui, avouons-le, sonne comme une formule toute faite dans ce genre de situation.
D’où viennent ces accusations ?
Tout part des déclarations d’un ancien haut responsable de l’Église de l’Unification, Yun Young-ho. Interrogé par les autorités cette année, il aurait détaillé un système de versements occultes à plusieurs personnalités politiques. Chun Jae-soo ne serait qu’un nom parmi d’autres sur une liste qui promet de s’allonger.
Ce qui rend l’affaire particulièrement sensible, c’est que les soupçons ne se limitent pas à un camp politique. Des députés de la majorité actuelle (centre-gauche) comme de l’opposition conservatrice auraient bénéficié de ces largesses. En Corée du Sud, où la politique est déjà ultra-polarisée, voilà un scandale qui transcende les clivages traditionnels.
L’Église de l’Unification : un empire aussi riche que controversé
Pour comprendre l’ampleur du phénomène, il faut remonter aux origines. Fondée en 1954 par Sun Myung Moon, l’organisation revendique officiellement 300 000 adeptes en Corée du Sud et trois millions dans le monde – des chiffres que les spécialistes considèrent largement exagérés.
Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, c’est sa puissance économique. Hôtels de luxe, médias, entreprises de distribution alimentaire… l’Église de l’Unification possède un véritable empire. Et cet argent, elle sait apparemment l’utiliser pour tisser des réseaux d’influence au plus haut niveau.
Ses pratiques – mariages collectifs réunissant des milliers de couples, recrutement intensif, contrôle strict des adeptes – lui ont valu depuis longtemps l’étiquette de secte. Mais en Corée du Sud, elle a toujours réussi à maintenir une forme de respectabilité, notamment grâce à ses relais dans les milieux conservateurs.
Kim Keon Hee dans le viseur
Le scandale actuel ne s’arrête pas au ministre démissionnaire. Une enquête distincte vise l’ancienne première dame, Kim Keon Hee, épouse de l’ex-président Yoon Suk Yeol (2022-2025). Elle serait soupçonnée d’avoir elle aussi bénéficié de versements de l’Église de l’Unification.
Ces révélations tombent au pire moment pour le camp conservateur, déjà affaibli par la lourde défaite électorale de 2025. Elles alimentent le soupçon d’une influence souterraine qui aurait perduré bien au-delà du mandat de Yoon Suk Yeol.
La réaction immédiate du président Lee Jae-myung
Mercredi, soit la veille de la démission, le président Lee Jae-myung a pris les devants. Il a ordonné une enquête approfondie sur les liens présumés entre un « groupe religieux » – formulation transparente – et des acteurs politiques. Un signal fort, destiné à montrer que personne ne sera épargné, quel que soit son bord.
Dans un pays où les scandales de corruption finissent souvent par s’éteindre doucement, cette fois l’exécutif semble décidé à aller jusqu’au bout. La pression populaire est énorme : les Sud-Coréens, lassés des affaires à répétition, exigent de la transparence.
Pourquoi ce scandale peut tout faire basculer
Ce qui rend cette affaire différente des précédentes, c’est son caractère transpartisan. Quand les deux grands camps sont touchés simultanément, plus personne ne peut jouer la carte de l’opportunisme politique sans risquer le retour de flamme.
Si les révélations de Yun Young-ho se confirment, on pourrait assister à une vague de démissions ou de mises en examen en cascade. Dans un système politique déjà fragilisé par des années de polarisation extrême, c’est une véritable bombe à retardement.
« La bonne attitude est de démissionner de son poste ministériel et répondre avec honnêteté »
Chun Jae-soo, ministre démissionnaire
Cette phrase, prononcée avec gravité devant les caméras, restera probablement comme le symbole d’une séquence qui pourrait marquer durablement la vie politique sud-coréenne.
Et maintenant ?
Les enquêteurs ont désormais la lourde tâche de démêler les fils d’un réseau qui semble s’étendre bien au-delà du seul Chun Jae-soo. Les prochaines semaines diront si l’on assiste à un simple feu de paille ou au début d’une purge sans précédent.
Une chose est sûre : en Corée du Sud, l’influence des grandes organisations religieuses sur la sphère politique est un sujet tabou qui refait surface avec violence. Et cette fois, il pourrait bien être impossible de l’étouffer.
À suivre, donc. Très attentivement.









