Imaginez un navire chargé de centaines de tonnes de déchets industriels toxiques, voguant d’un port à l’autre pendant des mois, refusé par chaque pays où il tente d’accoster. C’est le périple kafkaïen qu’a connu le porte-conteneurs Moliva ces derniers mois, selon les révélations d’une ONG environnementale. Une histoire symptomatique du commerce illégal des déchets qui prospère dans l’ombre de la mondialisation.
Un étrange chargement au départ d’Albanie
Tout commence en juillet dernier sur les quais du port albanais de Durrës. Le Moliva, un cargo battant pavillon turc, charge dans ses cales 102 conteneurs remplis de ce qui est déclaré comme de «l’oxyde de fer», un déchet industriel dont l’exportation est autorisée. Destination : la Thaïlande.
Mais selon l’ONG Basel Action Network (BAN), spécialisée dans la traque des trafics de déchets, la réalité serait tout autre. D’après les informations d’un lanceur d’alerte, le navire transporterait en fait 2100 tonnes de «poussières de four électrique à arc», un déchet hautement toxique issu de l’industrie métallurgique, dont le transport est soumis à une réglementation drastique.
Périple en eaux troubles
Après plusieurs mois de traversée, le Moliva arrive à bon port en Thaïlande. Mais les autorités locales, sans doute alertées, refusent de laisser débarquer la cargaison suspecte. Le navire reprend alors la mer pour une longue errance qui va le mener dans les ports d’Espagne, du Portugal, d’Italie et de Turquie, avant de revenir ce lundi matin en Albanie.
Si nos informations sont exactes, cette exportation était purement et simplement criminelle. Elle n’aurait jamais dû avoir lieu
Jim Puckett, directeur de BAN
Pour l’ONG, ce périple de 5 mois est l’illustration flagrante d’un trafic illégal de déchets dangereux. «Si nos informations sont exactes, cette exportation était purement et simplement criminelle. Elle n’aurait jamais dû avoir lieu», tonne Jim Puckett, directeur de BAN.
Enquête ouverte
Face à ces soupçons, le parquet albanais a ouvert une enquête pour «contrebande de marchandises interdites» et «abus de pouvoir». Les 2100 tonnes de déchets, placées sous séquestre, seront prochainement inspectées et analysées pour en déterminer la nature exacte.
Reste à savoir qui est à l’origine de ce trafic présumé, et quelles sociétés espéraient se débarrasser à moindre coût de leurs déchets toxiques au mépris de l’environnement. L’enquête promet d’être longue et complexe, tant les ramifications de ce commerce illégal sont opaques et tentaculaires.
Un fléau aux terribles conséquences
Car au delà de cette affaire, c’est tout un pan de l’économie mondiale qui prospère sur le dos de l’environnement. Chaque année, des millions de tonnes de déchets toxiques produits par les pays riches sont expédiés illégalement vers les pays en développement, où les réglementations sont plus laxistes et les populations plus vulnérables.
- Des conséquences sanitaires désastreuses pour les populations exposées
- Des dégâts irréversibles sur les écosystèmes
- Un coût environnemental et humain exorbitant au profit du crime organisé
Les organisations environnementales tirent la sonnette d’alarme depuis des années sur cette bombe à retardement. Un combat de David contre Goliath tant les intérêts financiers en jeu sont colossaux. Entre 44 et 70 milliards d’euros par an selon les estimations, soit plus que le trafic de drogue.
L’affaire du Moliva, avec ses zones d’ombre et ses ramifications internationales, illustre parfaitement les difficultés à enrayer ce fléau. Elle montre aussi l’urgence d’une prise de conscience mondiale et d’une coopération renforcée pour mettre fin à ce scandaleux commerce. La planète ne peut plus être la poubelle toxique de la mondialisation.