C’est un drame qui avait profondément choqué. Le 17 décembre 2018, Micheline Myrtil, une patiente de 55 ans, était déposée par les pompiers aux urgences de l’hôpital Lariboisière à Paris. Souffrant de céphalées et de douleurs aux mollets, elle avait été prise en charge puis orientée vers une salle d’attente. Le lendemain matin, elle était retrouvée sans vie sur un brancard, n’ayant jamais été examinée par un médecin. Six ans après cette tragédie, la justice a tranché : l’AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris) sera jugée pour homicide involontaire.
Une série de dysfonctionnements en cause
L’enquête a mis en lumière de graves manquements dans la prise en charge de Micheline Myrtil cette nuit-là. Appelée vers minuit, la patiente n’avait jamais répondu, son nom ayant été mal orthographié. Considérée comme partie, elle était en réalité restée sur son brancard dans un recoin des urgences, “sans surveillance” de 1h à 6h du matin, heure à laquelle elle a été retrouvée décédée.
La négligence grave réside dans le fait d’avoir pris en charge médicalement Mme Myrtil vers 19h et de ne pas s’être préoccupé de l’évolution de son état pendant plus de 5 heures.
Le juge d’instruction en charge du dossier
Une mort qui aurait pu être évitée
Selon les conclusions de l’autopsie, Micheline Myrtil est décédée d’une “défaillance respiratoire aiguë secondaire à un œdème pulmonaire”. Un premier drame qui, selon le magistrat instructeur, aurait pu être évité. Dans son ordonnance, il souligne qu’une “faute de négligence grave a exclu toute possibilité de survie” pour la victime.
L’AP-HP face à ses responsabilités
Malgré les conclusions accablantes de l’instruction, le parquet de Paris avait requis un non-lieu en juillet dernier, estimant que le lien de causalité entre d’éventuelles carences dans la prise en charge et le décès n’était pas établi. Une analyse non suivie par le juge, qui a donc décidé de renvoyer l’AP-HP devant le tribunal correctionnel.
Contactée, l’institution hospitalo-universitaire n’a pas souhaité commenter une procédure judiciaire en cours. Après le drame, l’hôpital Lariboisière avait annoncé des mesures de contrôle accrues des patients aux urgences, ainsi qu’une augmentation des effectifs, recommandée par l’Agence Régionale de Santé (ARS).
Une attente insupportable pour les proches
Pour la famille de Micheline Myrtil, cette décision de justice est un premier pas vers la vérité et une forme de reconnaissance de la souffrance endurée. “Cela fait six longues années que nous attendons des réponses. Six années à vivre avec cette douleur, cette incompréhension”, confie, émue, l’une de ses sœurs. “Nous espérons qu’enfin, toute la lumière sera faite sur les circonstances ayant mené au décès de Micheline et que les responsabilités seront clairement établies.”
Au-delà d’une tragédie individuelle, cette affaire met en lumière les graves dysfonctionnements qui gangrènent l’hôpital public, particulièrement dans les services d’urgences, sous tension permanente. Sous-effectif chronique, épuisement des soignants, manque de lits, autant de maux qui mettent en péril la prise en charge des patients et la sécurité des soins, pourtant au cœur des missions de service public.
Vers une prise de conscience et des réformes indispensables ?
Interrogé, le Pr Rémi Salomon, président de la conférence des présidents de CME (commission médicale d’établissement) de l’AP-HP, évoque un drame “révélateur de la grande fragilité de notre système de santé”. S’il dit comprendre la décision de justice, il pointe surtout la responsabilité collective. “Derrière des drames humains comme celui-ci, il y a un hôpital public à bout de souffle, qui n’arrive plus à faire face à un afflux massif de patients avec des moyens constants voire en baisse”, alerte-t-il, appelant à une grande réforme permettant de “redonner de l’oxygène et de l’attractivité à l’hôpital”.
Au-delà de l’indispensable établissement de la vérité sur le décès de Micheline Myrtil, le procès à venir de l’AP-HP constitue donc un rendez-vous majeur. L’occasion, peut-être, d’une véritable prise de conscience de l’urgence à réformer un système de santé à la dérive, pour que plus jamais, un patient admis aux urgences n’y laisse la vie dans de telles circonstances. Les premiers éléments du dossier seront examinés le 17 septembre prochain par la 16ème chambre correctionnelle de Paris.