Imaginez une femme de 106 ans, portant le poids d’une douleur indicible, mais refusant de plier face à l’injustice. Rosa Roisinblit, figure emblématique des Grands-Mères de la Place de Mai, s’est éteinte le samedi 7 septembre 2025, laissant derrière elle un héritage de courage et de résilience. Son histoire, celle d’une lutte acharnée contre les atrocités de la dictature argentine (1976-1983), résonne comme un cri pour la justice et la mémoire. À travers son combat, elle a incarné l’espoir pour des milliers de familles brisées, cherchant leurs proches disparus dans l’ombre d’un régime oppressif.
Une Vie Dédiée à la Vérité et à la Justice
Née en 1919 dans le village de Moises Ville, un refuge d’immigrants juifs au cœur de l’Argentine, Rosa Roisinblit était obstétricienne de profession. Sa vie, marquée par un engagement humaniste, bascule le 6 octobre 1978. Ce jour-là, sa fille Patricia et son gendre José, tous deux militants des Montoneros, une organisation péroniste en lutte contre la junte militaire, sont enlevés. Leur fille, Mariana, alors âgée de 15 mois, est rendue à la famille. Mais Patricia, enceinte de huit mois, est emmenée dans un centre de détention clandestin, où elle donne naissance à un fils avant de disparaître.
Ce drame personnel propulse Rosa dans une quête inlassable. Cofondatrice des Grands-Mères de la Place de Mai, elle consacre sa vie à retrouver les enfants volés sous la dictature, y compris son propre petit-fils, Guillermo. Son histoire est celle d’une femme ordinaire devenue héroïne par nécessité, un symbole de résistance face à l’oubli.
Le Combat des Grands-Mères de la Place de Mai
Les Grands-Mères de la Place de Mai, nées dans la foulée des Mères de la Place de Mai, se sont formées pour répondre à une tragédie unique : environ 500 bébés, nés en captivité ou enlevés avec leurs parents, ont été placés auprès de familles liées au régime militaire. Ces enfants, privés de leur identité, ont grandi sans connaître leurs origines. Les Grands-Mères, dont Rosa était une figure centrale, ont entrepris un travail titanesque pour les retrouver.
« Nous nous battons, mais les héros sont nos enfants qui se sont dressés contre une dictature féroce et ont donné leur vie pour un pays meilleur. »
Rosa Roisinblit, 2016
Grâce à leur persévérance, 140 enfants ont retrouvé leur identité, dont Guillermo, le petit-fils de Rosa, localisé en 2000. Ce succès n’est pas seulement une victoire personnelle, mais un symbole d’espoir pour toutes les familles touchées par les disparitions forcées.
Une Dictature aux Cicatrices Profondes
La dictature argentine (1976-1983) est une période sombre de l’histoire du pays. Environ 30 000 personnes, qualifiées de Disparus, ont été enlevées, torturées et assassinées par le régime militaire. Parmi elles, des militants, des intellectuels, des étudiants, ou encore des citoyens ordinaires soupçonnés d’opposition. Les centres de détention clandestins, comme l’École de mécanique de la marine, sont devenus des symboles de l’horreur.
Patricia, la fille de Rosa, a accouché dans une cave de ce centre avant que son bébé, Guillermo, ne lui soit arraché. Comme tant d’autres, elle et son conjoint José ont été assassinés, leurs corps jamais retrouvés. Cette absence de traces physiques a amplifié la douleur des familles, privées de closure.
Les Grands-Mères estiment qu’environ 300 petits-enfants restent à identifier, un défi qui perdure plus de 40 ans après la fin de la dictature.
Justice et Résilience : Le Procès de 2000
En 2000, un moment clé marque le parcours de Rosa : trois militaires responsables de l’enlèvement de son petit-fils sont condamnés à des peines de 12 à 25 ans de prison. Rosa, accompagnée de Mariana et Guillermo, assiste au procès, un symbole de justice face à l’impunité qui a longtemps protégé les bourreaux. Ce verdict, fruit de décennies de lutte, montre que la persévérance peut ébranler les murs du silence.
Pourtant, Rosa ne s’arrête pas là. À 97 ans, elle déclarait encore : « La douleur est toujours là, cette blessure ne guérit jamais… Mais dire que j’arrête ? Non, je n’arrêterai jamais. » Cette détermination illustre une force rare, celle de transformer une tragédie personnelle en un combat universel.
Un Héritage Vivant
Le décès de Rosa Roisinblit, à l’âge de 106 ans, marque la fin d’une vie dédiée à la vérité. Jusqu’en 2021, elle fut vice-présidente des Grands-Mères de la Place de Mai, avant de devenir présidente d’honneur en raison de son âge avancé. Son départ laisse un vide, mais son héritage perdure à travers les 140 enfants réunis avec leurs familles et les combats encore à venir.
Mariana, sa petite-fille, a partagé une photo émouvante sur les réseaux sociaux, où elle et sa grand-mère échangent un regard complice. « Pour moi, tu es éternelle », a-t-elle écrit, capturant l’essence d’une femme dont l’impact transcende le temps.
- Rosa a cofondé les Grands-Mères de la Place de Mai pour retrouver les enfants volés.
- Elle a retrouvé son petit-fils Guillermo en 2000, après plus de 20 ans de recherches.
- Environ 300 enfants restent à identifier, un défi toujours d’actualité.
- Son combat a inspiré des avancées judiciaires contre les responsables de la dictature.
Les Défis Actuels : Mémoire et Négationnisme
Le 24 mars 2025, lors du 49e anniversaire du coup d’État de 1976, des milliers d’Argentins ont manifesté pour honorer la mémoire des victimes. Le gouvernement de Javier Milei a annoncé la déclassification des archives du renseignement, un pas vers la transparence. Cependant, des voix s’élèvent contre ce qu’elles perçoivent comme du négationnisme, notamment en raison des coupes dans les budgets des institutions dédiées aux droits humains.
Les lieux de mémoire, anciens centres de torture, risquent de perdre leur financement, menaçant la préservation de cette histoire douloureuse. Ce contexte rend le travail des Grands-Mères encore plus crucial, car la mémoire collective est un rempart contre l’oubli.
Pourquoi Rosa Roisinblit Nous Inspire
L’histoire de Rosa Roisinblit n’est pas seulement celle d’une grand-mère cherchant ses petits-enfants. C’est celle d’une femme qui, face à l’horreur, a choisi de se battre pour la justice, la vérité et la dignité. Son courage rappelle que chaque voix compte, même dans les moments les plus sombres.
Son engagement montre que la lutte pour les droits humains transcende les générations. Aujourd’hui, alors que l’Argentine continue de panser ses plaies, l’héritage de Rosa incite à ne jamais baisser les bras, à défendre la mémoire et à construire un avenir où de telles tragédies ne se répètent pas.
Étape Clé | Description |
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1978 | Enlèvement de Patricia et José, disparition de leur nouveau-né. |
2000 | Retrouvailles avec Guillermo, condamnation des responsables. |
2021 | Rosa devient présidente d’honneur des Grands-Mères. |
En conclusion, Rosa Roisinblit n’était pas seulement une grand-mère, mais une combattante infatigable pour la vérité. Son décès marque la fin d’une époque, mais son héritage continue d’inspirer. À travers son histoire, nous sommes invités à réfléchir : comment honorer la mémoire des victimes tout en construisant un avenir plus juste ? La réponse réside peut-être dans le courage de ceux qui, comme Rosa, refusent de se taire.