Imaginez un homme, cigarette au bec, scrutant l’actualité avec un regard perçant, prêt à décrypter le monde avec une plume aiguisée. Michel Schifres, disparu à l’âge de 79 ans, incarnait cette image du journaliste passionné, dont la vie entière fut consacrée à raconter, analyser et critiquer les soubresauts de notre époque. Sa mort, survenue dans la nuit de mercredi à jeudi dernier, laisse un vide dans le monde du journalisme français, mais son héritage perdure à travers ses écrits et son influence.
Une Carrière au Cœur de l’Actualité
Michel Schifres n’était pas seulement un observateur de son temps ; il était un acteur incontournable de la presse écrite. Dès les années 1960, il plonge dans le grand bain du journalisme, un univers où il se forge une réputation d’enquêteur tenace et d’éditorialiste incisif. Son parcours, riche et varié, témoigne d’une curiosité insatiable et d’un amour profond pour les mots.
Les Débuts : Une Plongée dans le Journalisme Engagé
Originaire d’Orléans, Michel Schifres arrive à Paris pour intégrer le Centre de Formation des Journalistes (CFJ), dont il sort major, malgré des débuts scolaires modestes. Ce n’est qu’après deux tentatives qu’il décroche son baccalauréat, preuve de sa persévérance. Ses premiers pas dans le journalisme le mènent vers des rédactions prestigieuses, où il couvre des sujets allant des luttes syndicales aux bouleversements politiques.
Dans les années 1970, il se distingue par un ouvrage consacré à la CFDT, un syndicat alors en pleine transformation sous la houlette d’Edmond Maire. Ce livre, fruit d’une enquête minutieuse, révèle son talent pour explorer les coulisses des institutions et des mouvements sociaux. Schifres ne se contente pas de relater les faits ; il cherche à comprendre le pourquoi du comment, une quête qui deviendra sa marque de fabrique.
« La grève relève d’une vieille mythologie syndicale. »
Edmond Maire, cité par Michel Schifres
Une Plume au Service de la Politique
La politique française, véritable théâtre des passions, fut le terrain de prédilection de Michel Schifres. De Charles de Gaulle à Emmanuel Macron, aucun président de la Ve République n’a échappé à son regard critique. Ses éditoriaux, souvent mordants, mêlaient analyse rigoureuse et ironie subtile. Il ne se contentait pas de commenter l’actualité ; il la disséquait, révélant les intrigues et les jeux de pouvoir.
Ses billets, qu’il rédigeait encore récemment, étaient des modèles de concision et d’humour. En 780 signes, pas un de plus, il parvenait à captiver ses lecteurs, exécutant un sujet avec une précision chirurgicale. Cette discipline d’écriture, alliée à son style caustique, faisait de chaque texte une petite œuvre d’art.
Michel Schifres avait le don de transformer l’actualité en récits vivants, où chaque mot comptait.
Un Observateur du Monde
Bien que la politique française ait été son domaine de prédilection, Schifres ne se limitait pas aux frontières hexagonales. Les soubresauts du Maghreb et du Proche-Orient, régions qu’il affectionnait particulièrement, nourrissaient ses réflexions. En 2005, il signait un éditorial percutant sur le conflit israélo-palestinien, déplorant un drame qui, selon lui, « devrait faire honte au monde ».
Sa capacité à saisir les nuances des crises internationales témoignait de son érudition et de son attachement à la précision. Il écrivait : « Il ne faut pas faire dire aux mots plus que ce qu’ils signifient. » Cette maxime illustre son approche rigoureuse, loin des simplifications hâtives.
Une Vie de Passion et de Curiosité
Michel Schifres n’était pas seulement un homme de plume. C’était aussi un amoureux de la vie, un passionné aux multiples facettes. Fan inconditionnel du Tour de France, il ne manquait jamais une étape de la Grande Boucle, qu’il suivait avec ferveur. Cette passion pour le cyclisme, mêlée à son goût pour les voyages, notamment en Corse et à Trouville, reflétait son besoin de s’évader et de se ressourcer.
Ses proches décrivent un homme curieux, toujours en quête de détails, qu’il s’agisse des coulisses d’une élection ou des secrets d’une institution. Cette curiosité insatiable se retrouvait dans ses livres, comme L’Élysée de Mitterrand, coécrit avec Michel Sarazin, où il explorait les arcanes du pouvoir sous François Mitterrand.
Œuvre | Année | Thème |
---|---|---|
La CFDT des militants | 1972 | Syndicalisme réformiste |
L’Élysée de Mitterrand | 1985 | Pouvoir politique |
Enaklatura | 1987 | Élite française |
Un Homme de Contrastes
Derrière l’image du journaliste blasé, cigarette à la main, se cachait un homme profondément passionné. Schifres cultivait un style de vie à la fois simple et raffiné. Avec sa seconde épouse, Marie-Ange Horlaville, emportée par le Covid-19 en 2022, il partageait un amour pour les voyages et les moments passés en compagnie de leurs chats, Dostoïevski et Nostradamus. Ce goût pour la littérature et l’humour se retrouvait dans ses écrits, où il mêlait anecdotes personnelles et observations sociétales.
Sa vie personnelle, marquée par des épreuves – cancers, accidents de santé, et un spectaculaire accident de voiture en 2022 – n’a jamais entamé son énergie. Jusqu’à ses derniers jours, il continuait d’écrire, de commenter, de vivre avec intensité.
Un Héritage Durable
Le décès de Michel Schifres marque la fin d’une époque pour le journalisme français. Sa plume, à la fois élégante et incisive, a marqué des générations de lecteurs. Voici quelques aspects de son héritage :
- Une rigueur journalistique : Schifres ne se contentait pas de relater ; il enquêtait, vérifiait, analysait.
- Un style unique : Son ton caustique et ses bons mots ont fait école.
- Une passion pour l’actualité : Des conflits internationaux aux courses cyclistes, il embrassait tous les sujets.
- Une curiosité sans bornes : Il cherchait toujours à comprendre l’envers du décor.
Son influence perdure à travers les journalistes qu’il a inspirés et les lecteurs qu’il a captivés. Ses livres, ses éditoriaux, et même ses billets humoristiques restent des témoignages d’un talent rare.
Un Adieu au Peloton
À quelques jours du départ du Tour de France, l’absence de Michel Schifres se fera cruellement sentir. Lui qui ne ratait jamais une étape, lui qui voyait dans le cyclisme une métaphore de la vie – effort, endurance, victoire – a quitté le peloton. Mais comme les grands champions, il laisse derrière lui un palmarès impressionnant.
Ses proches, ses enfants Lucas et Blaise, ses petits-enfants, et tous ceux qui l’ont connu pleurent un homme d’exception. À nous, lecteurs, il revient de relire ses textes, de redécouvrir ses analyses, et de perpétuer son amour pour les mots et l’actualité.
« Les mots sont des fenêtres sur le monde, à condition de les choisir avec soin. »
– Michel Schifres
En refermant cet article, prenons un moment pour saluer la mémoire d’un homme qui, par sa plume et sa curiosité, a éclairé notre compréhension du monde. Michel Schifres n’est plus, mais ses mots, eux, continuent de résonner.