C’est une page qui se tourne dans l’histoire mouvementée de la Turquie contemporaine. Fethullah Gülen, le prédicateur musulman exilé aux États-Unis depuis 1999 et ennemi juré du président turc Recep Tayyip Erdogan, est décédé lundi à l’âge de 83 ans dans un hôpital de Pennsylvanie où il avait été admis récemment. L’annonce de sa mort, relayée par son entourage et les médias officiels turcs, soulève de nombreuses questions sur l’avenir des relations turco-américaines et du vaste mouvement initié par Gülen.
De l’alliance à l’hostilité avec Erdogan
Longtemps allié d’Erdogan, qu’il avait soutenu lors de son accession au pouvoir en 2002, Fethullah Gülen était devenu ces dernières années la bête noire du régime turc. Ankara l’accuse en effet d’avoir orchestré depuis son exil américain la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, qui a fait 251 morts et conduit à des purges massives dans l’armée et l’administration.
Mais les relations entre les deux hommes s’étaient dégradées bien avant cet événement. Dès 2013, un scandale de corruption impliquant des proches d’Erdogan et attribué à des magistrats gulénistes avait jeté un froid. Fethullah Gülen, qui prônait un islam modéré conciliable avec la démocratie et la modernité, dénonçait de plus en plus ouvertement les dérives autoritaires du président turc.
Un vaste mouvement d’influence
Au fil des années, le prédicateur avait tissé un réseau tentaculaire, connu sous le nom de Hizmet (“Service” en turc). À la tête d’un empire médiatique, éducatif et caritatif présent dans de nombreux pays, il était soupçonné par ses détracteurs de vouloir imposer un agenda politico-religieux.
Le mouvement Gülen est une nébuleuse qui mêle activités éducatives, commerciales et spirituelles. Il se présente comme une organisation à but non lucratif, mais en réalité, il cherche à accroître son influence dans la société et les institutions.
– Un spécialiste de la Turquie
Malgré les purges menées après le putsch avorté de 2016, qui ont conduit au limogeage de plus de 100 000 fonctionnaires et à l’arrestation de dizaines de milliers de personnes, le mouvement resterait influent en Turquie et à l’étranger. Son démantèlement constitue une priorité absolue pour le président Erdogan.
Un héritage controversé
La mort de Fethullah Gülen ouvre une période d’incertitude pour ses partisans. Le prédicateur n’a pas désigné de successeur officiel et plusieurs figures pourraient se disputer son héritage. Le mouvement pourrait connaître des dissensions internes et une perte d’influence, à moins qu’un nouveau leader charismatique n’émerge.
Du côté d’Ankara, on craint que les gulénistes ne se réorganisent pour fomenter de nouveaux complots contre le régime. Le gouvernement turc pourrait intensifier ses pressions sur Washington pour obtenir l’extradition des dirigeants en exil, un sujet de friction récurrent entre les deux pays.
Même sans Fethullah Gülen, le mouvement qu’il a fondé restera une force avec laquelle il faudra compter en Turquie et dans le monde. Son message et son réseau ont une réelle capacité de résilience.
– Une source proche des milieux gulénistes
Et maintenant ?
Une des questions qui se posent à présent est celle du rapatriement et de l’inhumation de la dépouille de Gülen. Ce dernier, déchu de sa nationalité turque en 2017, avait émis le souhait d’être enterré dans son pays natal. Mais Ankara pourrait s’y opposer et instrumentaliser politiquement ses funérailles.
Plus largement, le décès de cette figure aussi fascinante que clivante invite à s’interroger sur les ressorts et les perspectives de l’islam politique turc, dont il fut l’un des principaux inspirateurs. Entre répression étatique et tentation de la clandestinité, l’avenir du mouvement Gülen et de ses épigones reste à écrire.