Il y a encore quelques années, appeler Bitcoin « poison pour rats » passait pour une évidence à Wall Street. Aujourd’hui, le même homme qui prononçait ces mots gère le plus gros ETF Bitcoin au monde. Ce virage à 180° de Larry Fink, PDG de BlackRock, résume à lui seul l’incroyable mutation que vit la cryptomonnaie en cette fin 2025.
Face à lui, Brian Armstrong, patron de Coinbase, ne cache pas son sourire. Pour le fondateur de la plus grande plateforme américaine, l’année qui s’ouvre va marquer la sortie définitive du Far West réglementaire. Entre ces deux visions – l’une venue de la finance traditionnelle, l’autre du cœur même de la révolution crypto – se dessine le prochain chapitre d’une industrie qui pèse désormais près de 3 000 milliards de dollars.
2025, l’année où tout bascule vraiment
Le ton est donné dès les premières minutes de leur discussion publique. Larry Fink assume totalement son revirement. La crise du Covid a été le déclencheur : en rencontrant des défenseurs acharnés de Bitcoin, il a fini par séparer le protocole lui-même du bruit ambiant des scams et des ICO foireuses. Résultat ? Il voit désormais Bitcoin comme l’actif de la peur par excellence.
Derrière cette formule se cache une réalité brutale : dans un monde où les déficits explosent et où la confiance dans les monnaies fiat s’effrite doucement, certains cherchent un refuge numérique hors du contrôle des États. Fink ne parle plus de spéculation pure, mais de protection longue durée.
« Les gens achètent Bitcoin parce qu’ils ont peur – peur pour leur sécurité physique ou financière. »
Larry Fink, décembre 2025
Brian Armstrong enterre (encore) la thèse du « zéro »
De l’autre côté de la scène, Brian Armstrong balaie d’un revers de main l’antienne favorite de Warren Buffett et Charlie Munger : non, Bitcoin n’ira jamais à zéro. Pour lui, ces deux légendes vivent encore dans un monde où le dollar régnait sans partage. Ils peinent à imaginer un système financier nativement internet, décentralisé et résistant à la censure.
Le message est clair : la page est tournée. Avec plus de 52 millions d’Américains ayant déjà touché à la crypto, le débat n’est plus de savoir si les cryptomonnaies vont survivre, mais comment elles vont s’intégrer au système existant.
Régulation : la fin du no man’s land
2025 s’annonce comme l’année du grand nettoyage réglementaire américain. Le Genius Act sur les stablecoins est déjà passé. Un texte plus large sur la structure de marché crypto a franchi la Chambre des représentants avec un soutien bipartisan et file vers le Sénat.
Pour Armstrong, c’est la fin d’une ère grise. Les plateformes offshore ultra-levierées qui ont provoqué le grand lavage de positions en octobre dernier vont perdre leur principale attraction : l’absence de règles. Quand les États-Unis offriront un cadre clair, le risque (et l’argent) reviendra naturellement onshore.
Le lobbying en chiffres
Coinbase a dépensé environ 50 millions de dollars en dons politiques lors du cycle 2024.
Soutien massif au super PAC Fairshake.
Objectif affiché : « tenir le gouvernement pour responsable » et protéger les 52 millions d’utilisateurs crypto américains.
Larry Fink, lui, adopte une posture plus institutionnelle. Chez BlackRock, les dons politiques sont strictement paritaires et passent au crible du risque réputationnel. L’idée n’est pas d’acheter des faveurs, mais de ne jamais se retrouver en porte-à-faux avec un régulateur, quel qu’il soit.
Tokenisation : la vraie révolution selon Fink
Si Bitcoin incarne la peur, la tokenisation représente l’espoir et la croissance pour le patron de BlackRock. L’idée est simple : mettre absolument tous les actifs – actions, obligations, immobilier, œuvres d’art – sur une blockchain. Résultat ? Des coûts de friction qui s’effondrent, des règlements en temps réel et un accès démocratisé.
On parle déjà de 4 100 milliards de dollars dormant dans des wallets, majoritairement en stablecoins. Imaginez pouvoir passer instantanément de dollars tokenisés à des fractions d’immeuble ou d’œuvres d’art depuis une simple application. C’est ce futur que Fink décrit avec des étoiles dans les yeux.
Les banques face au mur des stablecoins
Brian Armstrong est beaucoup plus direct sur le sort des banques traditionnelles. Pour lui, leur acharnement à bloquer les stablecoins n’a qu’une seule explication : protéger leurs marges juteuses. En refusant de payer des intérêts décents sur les dépôts, elles se sont créé un concurrent redoutable.
Sa prédiction ? Dans un à deux ans maximum, les mêmes banques viendront supplier pour pouvoir émettre leurs propres stablecoins rémunérés. Le vent tourne déjà : Coinbase fournit déjà custody et trading pour plus de 80 % des ETF crypto existants et pilote des projets stablecoins avec plusieurs grandes banques.
L’Amérique en retard, l’Inde et le Brésil en avance
Larry Fink tire la sonnette d’alarme : les États-Unis sont en train de se faire distancer. Pendant que Washington tergiverse, l’Inde et le Brésil construisent des systèmes de paiement instantanés et des monnaies numériques totalement intégrés. La tokenisation n’est plus une option, c’est une question de compétitivité géopolitique.
Le lien avec l’intelligence artificielle est explicite. Celui qui dominera la combinaison blockchain + IA dominera la prochaine décennie financière. Et pour l’instant, les signaux ne sont pas bons : croissance molle de l’emploi (31 000 postes par mois contre 154 000 l’an dernier), substitution accélérée du travail par la technologie. Chez BlackRock même, les revenus ont bondi de 40 % tandis que les effectifs n’ont augmenté que de 5 %.
Gouvernance d’entreprise et démocratie actionnariale
Le débat dérive ensuite sur des sujets plus techniques mais tout aussi explosifs. Brian Armstrong justifie le déménagement juridique de Coinbase du Delaware vers le Texas : trop d’hostilité judiciaire, trop d’imprévisibilité. Le Texas offre un environnement plus stable pour les fondateurs.
Larry Fink, lui, rêve d’une démocratie actionnariale boostée par la tokenisation. Si chaque action était un token, on connaîtrait instantanément le propriétaire réel et on pourrait pousser le vote directement sur le téléphone de chaque investisseur. Participation multipliée, activisme mieux encadré.
Les marchés de prédiction, prochaine frontière
Armstrong conclut sur une note provocatrice : les marchés de prédiction pourraient bien remplacer une grande partie des médias traditionnels. Probabilités en temps réel sur tout – réouverture du canal de Suez, résultats électoraux, lancements de produits. Il va même jusqu’à suggérer que l’interdiction du délit d’initié dans ces marchés pourrait nuire à la qualité de l’information.
Provocation ou vision ? Une chose est sûre : entre la peur refuge de Fink et l’optimisme réglementaire d’Armstrong, la cryptomonnaie n’est plus une curiosité marginale. Elle est en train de s’installer au cœur même du système financier mondial.
Et vous, dans quel camp vous situez-vous ? Celui qui achète Bitcoin parce qu’il a peur… ou celui qui construit la finance de demain parce qu’il y croit ? Les deux réponses, finalement, mènent au même endroit : un monde où la blockchain n’est plus une alternative, mais l’infrastructure même de la richesse.
Ce qui change concrètement en 2025-2026
- Passage probable d’une loi fédérale claire sur les stablecoins
- Arrivée massive des banques traditionnelles dans l’émission de stablecoins rémunérés
- Explosion des actifs tokenisés (immobilier fractionné, obligations on-chain)
- Resserrement réglementaire sur les plateformes offshore à fort levier
- Développement des marchés de prédiction régulés
- Intégration croissante IA + blockchain dans les services financiers
Le message est limpide : celui qui pensait que la crypto allait rester dans sa niche s’est trompé. Elle est en train de devenir le système nerveux de la finance du XXIe siècle. Et cette fois, même les plus grands sceptiques l’ont compris.









