Le passage dévastateur du cyclone Chido sur Mayotte ce week-end a laissé l’île meurtrie et sa population dans une situation d’urgence absolue. Pourtant, au même moment, le nouveau premier ministre François Bayrou a fait le choix surprenant d’honorer un engagement de longue date en assistant à un conseil municipal à Pau, sa ville de cœur dont il est le maire depuis 2014. Une décision qui a immédiatement suscité une vague d’indignation sans précédent au sein de la classe politique française.
Un premier ministre absent au pire moment
Alors que Mayotte panse ses plaies après le déchaînement des éléments, nombreux sont ceux qui attendaient du nouveau locataire de Matignon qu’il se rende sans délai auprès des sinistrés pour apporter le soutien de la nation. Au lieu de cela, François Bayrou a choisi de participer en personne au conseil municipal de Pau lundi soir, se contentant de suivre en visioconférence l’importante réunion de crise interministérielle organisée à Paris au sujet de la situation mahoraise.
Une absence physique que beaucoup jugent inacceptable au vu des circonstances. « Qu’est-ce que vous faites là Monsieur Bayrou ? C’est une faute politique », l’a ainsi interpellé en séance l’élu d’opposition Tunday Cilgi. « Votre première mission, Monsieur le premier ministre, c’est de prendre l’avion et d’aller à Mayotte. Ne serait-ce que de façon symbolique », a-t-il martelé. Un avis largement partagé sur les bancs de l’opposition comme de la majorité.
L’opposition crie au scandale
De Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen en passant par Olivier Faure et Fabien Roussel, c’est un feu nourri de critiques qui s’est abattu sur le nouveau premier ministre. La députée LFI Mathilde Panot a estimé que François Bayrou envoyait « un mauvais symbole » en choisissant Pau plutôt que Mamoudzou « après 20 ans de politique d’abandon de Mayotte ». Son collègue communiste Fabien Roussel s’est demandé sur BFMTV si le chef du gouvernement mesurait vraiment « la gravité de la situation ».
Un département qui aurait été fauché de la même manière en Hexagone, tout le monde y serait.
Fabien Roussel, député PCF
Du côté du RN, le député Sébastien Chenu a jugé « consternante » l’absence du premier ministre, y voyant le signe d’un « mépris » envers Mayotte. Même son de cloche chez LR, Valérie Pécresse fustigeant « une première boulette » et un « symbole catastrophique envoyé aux Mahorais ».
Malaise jusque dans la majorité
Si les macronistes se sont montrés plus mesurés, François Bayrou n’a pas été épargné pour autant par ses propres troupes. Sur Franceinfo, la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet a reconnu qu’elle aurait « préféré » voir le premier ministre « prendre l’avion pour Mamoudzou plutôt que pour Pau ». Selon elle, « dans ce type de circonstances, il faut être à 100% mobilisé sur la gestion de crise » et « être au côté des populations ».
Le député MoDem Erwan Balanant a lui aussi admis sur LCP que le choix de son patron était « difficilement compréhensible », même s’il assure que cela ne remet pas en cause son « engagement et son efficacité ». Il n’empêche, l’absence très remarquée de François Bayrou jette une ombre sur ses débuts à Matignon.
Le spectre du cumul des mandats
Cet épisode relance également le débat sur le cumul des mandats, interdit pour les parlementaires depuis 2017 mais pas pour le premier ministre. En choisissant de conserver son fauteuil de maire, François Bayrou s’expose à des critiques sur sa capacité à se consacrer pleinement à sa tâche en cas de crise majeure. Un point sur lequel Yaël Braun-Pivet l’a d’ailleurs recadré, estimant que ce n’était « pas le sujet » du moment.
Reste que l’opposition ne se prive pas d’utiliser cet angle d’attaque contre celui qui fut pourtant un farouche partisan de l’interdiction du cumul par le passé. « Sa place est à Mayotte, pas à la mairie de Pau », a cinglé le député LFI Bastien Lachaud, pour qui « on ne peut pas diriger la France à temps partiel ». Un argument d’autant plus dangereux pour le nouveau premier ministre qu’il fait écho aux préoccupations des Français sur la gestion des crises.
Un premier couac qui tombe mal
En pleine période de constitution du nouveau gouvernement et alors que les défis économiques et sociaux s’accumulent, cette polémique tombe au plus mal pour le premier ministre, censé incarner le retour de « l’ordre et de la cohérence » à la tête de l’exécutif. Un premier couac qui risque de fragiliser sa position alors même qu’il doit affronter une Assemblée nationale hostile où il ne dispose pas de majorité claire.
Si c’est la façon dont il entend gérer les crises, ça promet pour la suite. Il joue sa crédibilité.
Un député de la majorité sous couvert d’anonymat
D’après une source proche du gouvernement, Emmanuel Macron aurait d’ailleurs fait savoir son mécontentement en privé, rappelant à son premier ministre que « l’urgence était à Mayotte » et non « à régler des dossiers locaux ». Un recadrage en règle qui place déjà François Bayrou sous pression alors qu’il doit donner des gages d’efficacité et d’engagement pour espérer bénéficier d’un état de grâce.
Vers un mea culpa du Premier ministre ?
Face à la bronca, François Bayrou n’aura peut-être pas d’autre choix que de reconnaître une maladresse et de corriger rapidement le tir en se rendant au chevet de Mayotte dans les prochains jours. Faute de quoi, il s’exposerait à ce que cette polémique le poursuive durablement et parasite son action.
D’autant que l’opposition compte bien continuer à exploiter ce qu’elle considère comme une faute politique majeure. « On ne le lâchera pas là-dessus », prévient un député LFI. De quoi plomber des débuts déjà compliqués pour celui qui rêvait d’incarner un « nouveau souffle » mais se retrouve déjà embourbé dans une polémique évitable. Premier test grandeur nature pour le nouveau premier ministre, dont la gestion sera scrutée de près.