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Cuba : La Polémique sur la Pauvreté Enflamme l’Île

Une ministre cubaine nie l'existence de mendiants, mais la réalité des rues raconte une autre histoire. Le président intervient, mais que cache cette polémique ?

Dans les rues animées de La Havane, où les couleurs vives des façades coloniales côtoient des scènes de vie quotidienne, une réalité plus sombre émerge. La pauvreté, longtemps un sujet tabou dans ce pays insulaire, s’affiche désormais au grand jour, malgré les déclarations controversées d’une ministre qui a nié l’existence de mendiants à Cuba. Ces propos, relayés à la télévision nationale, ont déclenché une vague d’indignation, amplifiée par les réseaux sociaux, et poussé le président à intervenir pour calmer la tempête. Comment en est-on arrivé là, et que révèle cette polémique sur la situation actuelle de l’île ?

Une Déclaration qui Fait Scandale

Lundi, lors d’une session parlementaire retransmise en direct, la ministre du Travail et de la Sécurité sociale a fait une sortie qui n’est pas passée inaperçue. En niant l’existence de mendiants à Cuba, elle a affirmé que les personnes vues dans les rues, souvent en train de fouiller les poubelles ou de laver des pare-brise, ne sont pas dans le besoin. Selon elle, il s’agirait de personnes cherchant une vie facile ou se déguisant en mendiants. Ces mots, prononcés avec assurance, ont immédiatement suscité des réactions vives, tant sur l’île qu’au-delà.

Sur les réseaux sociaux, les Cubains ont exprimé leur colère et leur incrédulité. Des photos montrant des individus fouillant dans les ordures ont circulé, accompagnées de commentaires ironiques : “Ce ne sont pas des mendiants, juste des acteurs déguisés !” Ces réactions traduisent un malaise plus profond, celui d’une population confrontée à une crise économique sans précédent, marquée par une inflation galopante et des pénuries chroniques.

La Réaction du Président : Une Mise au Point Inédite

Face à l’ampleur du scandale, le président cubain, Miguel Diaz-Canel, a rapidement pris la parole. Dans un message publié sur son compte X, il a critiqué le manque de sensibilité de la ministre, soulignant que de telles déclarations sont inacceptables dans un contexte où la vulnérabilité sociale est une réalité tangible. Lors d’une intervention plus longue devant le Parlement, il a insisté sur la nécessité de rester connecté aux réalités du pays, condamnant toute forme d’arrogance ou de déconnexion.

“Aucun d’entre nous ne peut agir avec arrogance, avec suffisance, déconnecté des réalités que nous vivons.”

Miguel Diaz-Canel, président de Cuba

En reconnaissant l’existence de personnes vulnérables, Diaz-Canel a brisé un tabou. Il a décrit ces individus, souvent qualifiés de vagabonds ou associés à la mendicité, comme des manifestations concrètes des inégalités sociales et des défis économiques actuels. Cette prise de position, bien que mesurée, marque un tournant dans le discours officiel, habituellement réticent à employer des termes comme pauvreté.

Une Crise Économique qui Exacerbe les Tensions

Pour comprendre l’ampleur de cette controverse, il faut se pencher sur le contexte économique de Cuba. Depuis plusieurs années, l’île traverse une crise sans précédent. La production locale est en berne, les pénuries de biens essentiels se multiplient, et l’inflation rend la vie quotidienne de plus en plus difficile. À cela s’ajoute l’embargo américain, renforcé sous l’administration Trump, qui limite les importations et asphyxie l’économie cubaine.

Dans ce climat, la pauvreté, bien que rarement nommée officiellement, est devenue plus visible. À La Havane, les scènes de personnes fouillant les poubelles ou mendiant dans les rues ne sont plus rares. Selon les chiffres officiels, en 2024, environ 189 000 familles et 350 000 individus bénéficient de programmes d’aide sociale sur une population totale de 9,7 millions d’habitants. Ces chiffres, bien qu’importants, ne reflètent probablement pas l’ampleur réelle du problème.

Indicateur Données 2024
Familles vulnérables 189 000
Individus bénéficiant d’aide sociale 350 000
Population totale 9,7 millions

Un Débat qui Révèle des Fractures Sociales

La polémique déclenchée par la ministre ne se limite pas à une simple maladresse. Elle met en lumière une fracture entre le discours officiel et la réalité vécue par la population. Alors que les autorités cubaines préfèrent parler de personnes vulnérables ou de vagabonds, les citoyens, eux, constatent une dégradation de leurs conditions de vie. Les réseaux sociaux, malgré les restrictions d’accès à Internet, sont devenus un espace où s’expriment ces frustrations.

Un internaute, par exemple, a partagé une série de photos montrant des personnes âgées ou des familles fouillant dans les ordures, accompagnées d’un commentaire sarcastique : “Déguisés en mendiants, vraiment ?” Ces publications, bien que souvent anonymes, reflètent un sentiment d’exaspération face à un discours officiel perçu comme déconnecté.

Les Défis de l’Aide Sociale à Cuba

Face à cette situation, les programmes d’aide sociale mis en place par le gouvernement semblent insuffisants. Bien que 350 000 personnes soient officiellement soutenues, de nombreux Cubains estiment que ces efforts ne répondent pas à l’ampleur des besoins. Les bénéficiaires, souvent des familles nombreuses ou des personnes âgées, dépendent de ces aides pour survivre, mais les montants alloués restent modestes face à l’inflation.

En parallèle, des initiatives communautaires émergent dans certaines villes pour pallier les carences du système. Des associations locales distribuent des repas ou organisent des collectes, mais ces efforts restent limités face à l’ampleur du problème. La question de la pauvreté urbaine devient ainsi un défi majeur pour les autorités, qui peinent à concilier leur discours idéologique avec les réalités du terrain.

Un Tabou qui Persiste

À Cuba, le mot pauvreté est rarement prononcé par les officiels. Les termes comme vulnérabilité ou besoins spécifiques sont préférés, dans une volonté de préserver l’image d’un système socialiste censé garantir l’égalité pour tous. Pourtant, la réalité des rues raconte une autre histoire. Les inégalités, bien que moins marquées que dans d’autres pays de la région, se creusent, et la crise économique agit comme un catalyseur.

Le président Diaz-Canel, en reconnaissant implicitement ces défis, semble vouloir ouvrir un débat, mais sans remettre en question les fondements du système. Cette prudence reflète la complexité de la situation : comment aborder la pauvreté sans ébranler l’idéologie qui structure le pays depuis des décennies ?

Vers une Prise de Conscience Collective ?

Cette polémique, bien que née d’une maladresse, pourrait avoir des effets durables. En forçant le débat sur la pauvreté et les inégalités, elle oblige les autorités à se confronter à une réalité qu’elles ont longtemps minimisée. Les réseaux sociaux, en amplifiant les voix des citoyens, jouent un rôle clé dans ce processus, malgré les contraintes d’accès à Internet.

Pour autant, des solutions concrètes tardent à émerger. Si les programmes d’aide sociale sont un premier pas, ils doivent être renforcés et adaptés à l’ampleur des besoins. Par ailleurs, la relance de l’économie, entravée par l’embargo et des problèmes structurels, reste une priorité pour réduire les inégalités sociales.

En attendant, les rues de La Havane continueront de porter les marques de cette crise. Les Cubains, résilients par nécessité, s’adaptent comme ils peuvent, mais leur patience s’effrite. La polémique actuelle pourrait être un tournant, ou simplement un symptôme d’un malaise plus profond. Une chose est sûre : le silence sur la pauvreté ne peut plus tenir.

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