Imaginez une île où le simple accès à internet devient un luxe, où la monnaie locale s’effondre face au dollar, et où les étudiants, piliers de l’avenir, se lèvent pour crier leur ras-le-bol. À Cuba, ce scénario n’est pas une fiction, mais une réalité brûlante. Depuis le 30 mai, une vague de contestation sans précédent secoue les universités cubaines, portée par des étudiants exaspérés par la dollarisation galopante de leur économie. Ce mouvement, d’une ampleur rare depuis la révolution de 1959, révèle un malaise profond face à une société à deux vitesses, où l’accès au dollar devient un privilège qui divise.
Une Révolte Étudiante Historique
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase ? Une nouvelle tarification de l’internet mobile imposée par Etecsa, la compagnie nationale de télécommunications. Entrée en vigueur fin mai, elle limite drastiquement l’achat de données en pesos cubains, poussant les utilisateurs vers des recharges en dollars, une devise inaccessible pour la majorité des Cubains. Les étudiants, particulièrement touchés, ont réagi avec une vigueur inattendue. Communiqués enflammés, appels à la grève des cours, débats publics : les campus, de La Havane à Holguín, se sont transformés en foyers de résistance.
“Tous les citoyens devraient jouir des mêmes droits, ce qui est ouvertement violé par la dollarisation croissante de l’économie cubaine.”
Étudiants de la faculté de droit de Holguín
Cette mobilisation ne se limite pas à une simple protestation contre les tarifs d’internet. Elle s’inscrit dans un mécontentement plus large, celui d’une jeunesse qui voit ses idéaux d’équité socialiste bafoués par des politiques économiques jugées discriminatoires. À Holguín, les étudiants en droit ont dénoncé une mesure “exclusive et classiste”, tandis qu’à La Havane, des discussions publiques ont vu des voix s’élever contre un système qui privilégie ceux ayant accès au dollar.
Dollarisation : Une Économie à Deux Vitesses
Pour comprendre l’ampleur de cette colère, il faut plonger dans le contexte économique cubain. Depuis plusieurs années, l’île traverse sa pire crise économique depuis les années 1990. Entre 2018 et 2023, l’inflation a grimpé à 190 %, atteignant même 470 % pour les denrées alimentaires, selon le Centre d’études de l’économie cubaine. Le peso cubain, monnaie dans laquelle la majorité des salaires sont payés, a perdu plus de 1 000 % de sa valeur. Pendant ce temps, le dollar s’impose comme une monnaie incontournable pour accéder à des biens et services essentiels.
Quelques chiffres clés pour comprendre la crise :
- Inflation générale : 190 % entre 2018 et 2023.
- Inflation alimentaire : 470 % sur la même période.
- Dépréciation du peso : Perte de plus de 1 000 % de sa valeur.
Cette dollarisation croissante a créé une fracture sociale. D’un côté, une élite avec accès au dollar – souvent grâce à des envois d’argent de l’étranger – fréquente des restaurants privés, des boutiques de luxe et roule en berlines flambant neuves. De l’autre, la majorité des Cubains, payés en pesos dévalués, lutte pour survivre face à une inflation galopante. Cette réalité a transformé La Havane en une vitrine des inégalités, où les écarts de richesse deviennent de plus en plus visibles.
Les Étudiants, Héritiers d’une Tradition de Résistance
Ce mouvement étudiant n’est pas un simple coup de colère passager. Il s’inscrit dans une longue tradition de mobilisation étudiante à Cuba, rappelant les années 1950, époque où des figures comme Fidel Castro s’engageaient dans des luttes pour la justice sociale. Comme le souligne un observateur, ce mouvement représente une “révolution au sein de la révolution”, une tentative de renouer avec les idéaux d’égalité qui ont fondé le projet socialiste cubain.
“Nous ne nous opposons pas au gouvernement, ni à la Révolution, mais à des politiques spécifiques qui trahissent son idéal.”
Manifeste étudiant, La Havane
Dans un manifeste publié par des étudiants de la capitale, ces derniers ont tenu à préciser leur position : ils ne rejettent pas la révolution, mais critiquent des décisions économiques qui, selon eux, trahissent ses principes. Ce discours, à la fois audacieux et mesuré, a trouvé un écho particulier sur les réseaux sociaux, où des vidéos de débats universitaires sont devenues virales. Une étudiante en médecine, par exemple, a dénoncé avec passion l’hégémonie du dollar, captant l’attention de milliers d’internautes.
Etecsa et le Gouvernement sous Pression
Face à la montée de la contestation, les autorités ont réagi. Une semaine après le début des protestations, un “groupe multidisciplinaire” a été créé pour ouvrir un dialogue entre Etecsa, les étudiants et les professeurs de plusieurs facultés de La Havane. Cette initiative, bien que saluée, n’a pas suffi à apaiser les tensions. Certains étudiants ont rapporté des pressions de la part des forces de sécurité, les incitant à cesser leurs actions. Ces allégations, relayées sur les réseaux sociaux, ont amplifié le sentiment d’injustice.
Etecsa, en tant que monopole d’État, justifie la nouvelle tarification par la nécessité de financer la maintenance du réseau et d’investir dans de nouvelles infrastructures. Mais pour beaucoup, cette explication sonne creux. Une experte basée aux États-Unis souligne que l’entreprise aurait dû rendre des comptes sur ses problèmes de capitalisation bien avant cette crise. Cette opacité alimente la méfiance des citoyens, qui se sentent exclus des décisions qui les concernent.
Un Contexte Économique Explosif
La crise économique cubaine est un cocktail détonant : un embargo américain renforcé, une gestion centralisée inefficace et une réforme monétaire ratée en 2021 ont plongé l’île dans une spirale de précarité. Pour capter des devises étrangères, le gouvernement a accéléré la dollarisation de secteurs clés comme l’alimentation, le carburant et désormais les télécommunications. Résultat ? Les Cubains sans accès au dollar – soit la grande majorité – se retrouvent marginalisés, incapables de suivre l’envolée des prix.
Facteur | Impact |
---|---|
Embargo américain | Limite l’accès aux devises et aux importations |
Réforme monétaire | Dévaluation massive du peso |
Dollarisation | Creuse les inégalités sociales |
Les étudiants, en première ligne de cette crise, ne se contentent pas de dénoncer les tarifs d’internet. Ils exigent des mesures qui bénéficient à l’ensemble de la population, pas seulement à une élite. Leur mouvement, en mettant en lumière le fossé entre les décideurs et les citoyens, agit comme un avertissement pour le gouvernement de Miguel Díaz-Canel.
Vers un Changement de Paradigme ?
Ce soulèvement étudiant pourrait-il marquer un tournant ? Pour certains observateurs, il représente un retour aux sources d’une révolution qui s’est peu à peu figée dans un conservatisme économique et politique. Les étudiants ne demandent pas la chute du régime, mais une réforme des politiques qui creusent les inégalités. Leur discours, ancré dans les idéaux socialistes, résonne comme un appel à redonner du sens à la révolution cubaine.
Pourtant, les défis sont immenses. Le gouvernement, sous pression pour capter des devises, semble pris dans un cercle vicieux : chaque mesure de dollarisation attise davantage la grogne populaire. Les concessions promises aux étudiants, comme des ajustements tarifaires, risquent de rester cosmétiques si elles ne s’accompagnent pas d’une réflexion plus large sur l’accès équitable aux ressources.
En attendant, les campus cubains restent un espace de débat et de résistance. Les étudiants, en s’organisant et en amplifiant leur voix sur les réseaux sociaux, redonnent vie à une tradition de contestation. Leur message est clair : l’avenir de Cuba ne peut se construire sur une société fracturée par l’argent. Reste à savoir si leur colère sera entendue, ou si elle ne sera qu’un cri dans le vent face à un système économique à bout de souffle.
En résumé :
- Les étudiants cubains protestent contre les nouveaux tarifs internet en dollars.
- Leur colère reflète un malaise face à la dollarisation et aux inégalités.
- La crise économique, marquée par une inflation record, aggrave les tensions.
- Le mouvement étudiant s’inscrit dans une tradition de résistance historique.
- Le gouvernement tente un dialogue, mais les pressions sécuritaires persistent.
Ce mouvement, bien que centré sur les étudiants, parle pour toute une population asphyxiée par les inégalités. À Cuba, où chaque peso compte, la révolte des étudiants pourrait bien être le prélude à un débat plus large sur l’avenir de l’île. Une chose est sûre : leur voix, portée par la passion et l’espoir, ne s’éteindra pas de sitôt.