La censure express du gouvernement Barnier, le plus éphémère de la Ve République, remet sur le devant de la scène la question lancinante : la France traverse-t-elle une simple crise politique passagère ou une crise de régime plus profonde ? Si les ingrédients de la classique valse parlementaire à la mode IVe République semblent réunis, certains y voient les stigmates d’un régime à bout de souffle. Décryptage d’un débat qui agite les coulisses du pouvoir.
Crise de gouvernance ou crise de système ?
Deux lectures s’opposent pour analyser les récents soubresauts politiques. D’un côté, ceux qui n’y voient qu’une énième crise politique sans lendemain. De l’autre, ceux qui prophétisent la fin du « monarque républicain » et de l’hyper-présidentialisation du régime. Les signes d’un épuisement du logiciel institutionnel se multiplient :
- Difficulté chronique à dégager des majorités claires et stables à l’Assemblée
- Émergence de nouvelles forces politiques bousculant le traditionnel clivage droite-gauche
- Montée de l’abstention et rejet des élites
« Une crise politique n’est pas une crise de régime »
Charles Jaigu, Le Figaro
Pour le journaliste du Figaro Charles Jaigu, il ne faut cependant pas confondre « crise politique et crise de régime ». La première ne conduit pas nécessairement à la seconde. L’instabilité gouvernementale masquerait en réalité la solidité des institutions de la Ve.
Vers une VIe République ?
Pourtant, les appels à une révision constitutionnelle d’ampleur se multiplient, exhumant le vieux serpent de mer de la VIe République. Retour à un régime plus parlementaire ? Renforcement du pouvoir législatif ? Introduction d’une dose de proportionnelle ? Les pistes ne manquent pas pour tenter de refonder le pacte institutionnel.
Mais attention à ne pas vouloir changer de Constitution comme on change de Premier ministre, alertent les gardiens du temple. La Constitution n’est pas un simple outil au service des ambitions politiques. Bâtie pour durer, elle exige un large consensus.
La culture du compromis
Plus que nos institutions, ce sont d’abord nos pratiques politiques qu’il faut réinventer. Accepter la recherche de compromis. Revaloriser le Parlement. Rééquilibrer les pouvoirs entre exécutif et législatif. Bref, faire entrer la culture de la coalition dans les mœurs politiques françaises.
« Pour sortir de la crise, une révolution culturelle de nos élites politiques est nécessaire »
Jean Garrigues, historien
Pour l’historien Jean Garrigues, une « révolution culturelle » de nos élites est indispensable. Cela implique notamment de « mettre un terme à l’hyper-présidentialisation du régime » et d’accepter le principe des coalitions.
Plutôt que jeter le bébé institutionnel avec l’eau du bain politique, les partisans d’une évolution douce prônent une « respiration démocratique ». Objectif : moderniser la Ve sans la détricoter.
Une révolution inachevée
Le macronisme n’aura finalement été qu’une « révolution inachevée » analyse Philippe Raynaud, professeur de sciences politiques. Faute d’avoir anticipé l’après, il aura accouché d’une Ve République bis, arc-boutée sur une pratique solitaire du pouvoir.
Voilà peut-être le sens profond de la crise actuelle : parachever la mutation avortée du macronisme en tirant les leçons de ses angles morts. Accepter le retour des corps intermédiaires. Gouverner par le dialogue social. Jouer enfin le jeu des forces plurielles.
« La crise n’est pas une fatalité mais une opportunité de repenser notre logiciel politique »
Un proche conseiller de l’Élysée
Selon une source élyséenne, Emmanuel Macron serait désormais convaincu que seule une « clarification » permettra au pays de sortir par le haut. Non pas un ravalement de façade mais une refondation en profondeur du logiciel politique national. En commençant par un aggiornamento des pratiques politiques.
Reste à savoir si le Président, en perte de vitesse dans les sondages, aura la force politique d’imposer ce new deal institutionnel. Son avenir politique en dépend. Celui de la Ve République aussi.