Alors que l’Allemagne traverse une crise politique majeure avec l’éclatement de sa coalition gouvernementale, c’est toute l’Europe qui retient son souffle. À l’heure où l’Union européenne fait face à de multiples défis, de la guerre en Ukraine au retour de Donald Trump à la Maison Blanche, en passant par un décrochage économique inquiétant, l’instabilité outre-Rhin tombe au plus mal. Pourtant, si la perspective de nouvelles élections législatives crée un vide à court terme, elle suscite également de timides espoirs à Bruxelles et dans les capitales européennes.
Le spectre d’une Allemagne paralysée
Le départ fracassant des Libéraux de la coalition au pouvoir à Berlin a pris tout le monde de court. En claquant la porte du gouvernement, le parti FDP plonge le pays dans une période d’incertitude politique, à un moment charnière pour l’Europe. Comme le souligne un diplomate européen :
Il y a des questions très importantes sur la table. Nous avons besoin d’une Allemagne forte au sein de l’Union européenne.
Car les dossiers brûlants ne manquent pas. L’UE doit impérativement se réinventer pour rester dans la course face aux géants américain et chinois. Des réformes économiques ambitieuses ont été proposées par l’ancien Premier ministre italien Mario Draghi, mais leur adoption nécessite un soutien sans faille de la première puissance du continent. Or un report des discussions sur ces sujets sensibles semble inévitable si Berlin venait à convoquer des élections anticipées.
La fin d’une coalition fragile
Pour autant, rares sont ceux à Bruxelles qui regretteront la coalition hétéroclite entre sociaux-démocrates, écologistes et libéraux. Souvent divisée, fréquemment fébrile dans ses engagements européens, l’alliance dirigée par le chancelier Olaf Scholz a régulièrement agacé ses partenaires ces deux dernières années. Un diplomate européen confie même, sous couvert d’anonymat :
Honnêtement, le départ de Christian Lindner, le ministre des Finances, peut être positif. Avec lui, il était impossible d’engager une discussion sur un cadre financier pluriannuel ambitieux ou sur un renforcement du financement de la défense au niveau de l’UE.
Le retour espéré d’une Allemagne moteur
Si la paralysie de l’Allemagne inquiète à court terme, la perspective de retrouver une coalition stable et plus europhile à Berlin après de nouvelles élections suscite donc quelques espoirs. Beaucoup rêvent d’un retour aux affaires de la CDU, le parti de centre-droit de l’ancienne chancelière Angela Merkel, réputé plus favorable à l’approfondissement de la construction européenne. De quoi, peut-être, relancer enfin le fameux “moteur franco-allemand”, en panne ces dernières années.
Reste une inconnue de taille : la poussée dans les sondages du parti d’extrême droite AfD. Son influence après un éventuel scrutin suscite une réelle inquiétude. Pour Sylvie Matelly, directrice de l’Institut Jacques Delors :
On doit se satisfaire de la décision en pensant qu’on peut difficilement faire pire que ce gouvernement. Mais attention au risque d’un bon score de l’AfD et à l’incertitude quant à son influence après les élections.
Un salutaire electrochoc ?
Malgré ces craintes, c’est un optimisme prudent qui semble dominer à Bruxelles. Cette crise pourrait être l’occasion d’un salutaire electrochoc outre-Rhin. L’occasion de sortir d’une forme d’immobilisme et de donner un nouvel élan au projet européen. Comme le résume un diplomate :
La crise affaiblit mais si elle conduit à des élections anticipées, c’est plutôt une bonne nouvelle pour l’Europe car cela peut conduire au pouvoir une coalition plus cohérente et donc enfin capable d’avoir des positions plus tranchées sur les initiatives européennes.
Une analyse partagée par de nombreux observateurs, conscients malgré tout de la période délicate qui s’ouvre. Car l’Union européenne va devoir naviguer plusieurs mois sans réel leadership allemand. Un paradoxe alors qu’elle n’a jamais eu autant besoin d’unité et de volontarisme politique pour affronter les immenses défis du moment. Les prochaines semaines s’annoncent donc particulièrement intenses dans les coulisses du pouvoir européen, où chacun croisera les doigts pour qu’émerge rapidement à Berlin une coalition porteuse d’un nouveau souffle.