ÉconomieInternational

Crise Industrielle : L’Europe Perd-elle Son Rang Mondial ?

En 2025, l’Europe importe pour la première fois plus de voitures de Chine qu’elle n’en exporte. Des fleurons ferment, la chimie plonge, l’acier coule… Est-ce la fin de l’industrie européenne telle qu’on l’a connue ? Ce qui se passe vraiment derrière les chiffres est terrifiant…

Imaginez une start-up française présentée il y a cinq ans comme le futur « leader mondial » des protéines d’insectes. Des centaines de millions levés, des usines ultra-modernes, des discours enflammés sur la réindustrialisation verte. Et puis, en une semaine de décembre 2025, tout s’effondre : liquidation judiciaire, trois quarts des salariés déjà licenciés quelques mois plus tôt. Ce n’est pas de la science-fiction. C’est l’histoire réelle d’Ynsect, symptôme brutal d’un mal bien plus vaste qui ronge l’industrie européenne.

L’industrie européenne au bord du précipice

Chimie, plasturgie, métallurgie, automobile : aucun grand secteur n’est épargné. Les signaux d’alarme clignotent partout sur le continent, et ils sont rouge vif.

En Allemagne, la première fédération industrielle parle ouvertement de « décrochage structurel ». En France, le cabinet du ministre délégué à l’Industrie décrit une fin d’année 2025 « extrêmement dure et compliquée » pour l’ensemble du continent. Même les bastions historiques vacillent.

Des chiffres qui font froid dans le dos

La production de l’industrie chimique allemande est à son plus bas niveau depuis trente ans. Le géant Arkema constate des écarts de compétitivité « très forts » selon les zones géographiques. La plasturgie européenne se dit carrément « au bord du gouffre ».

Les causes sont connues, mais dont l’addition devient explosive :

  • Coûts de l’électricité et du gaz stratosphériques depuis 2022
  • Réglementation environnementale parmi les plus sévères au monde
  • Salaires élevés face à une concurrence internationale sans contraintes similaires
  • Prix tirés vers le bas par des importations massives

La Chine, adversaire devenu maître du jeu

Dans presque tous les secteurs, le concurrent principal a le même visage : la Chine. Et cette concurrence n’est plus seulement une question de prix.

En 2024, la Chine a produit plus d’un milliard de tonnes d’acier – 55 % de la production mondiale – contre seulement 130 millions de tonnes pour l’ensemble de l’Union européenne. Une partie de cette production arrive sur le Vieux Continent à des prix défiant toute concurrence.

« La Chine a démontré sa capacité à répondre à des demandes complexes dans de nombreux secteurs d’activité »

Anaïs Voy-Gillis, chercheuse à l’IAE de Poitiers

Le symbole le plus marquant arrive en 2025 : pour la première fois de son histoire, l’Union européenne importera plus de voitures chinoises qu’elle n’en exportera. Les équipementiers automobiles européens assistent, impuissants, à l’inversion complète des flux.

L’énergie, talon d’Achille du continent

Le prix de l’énergie reste le sujet numéro un. Là où les industriels américains bénéficient d’un gaz de schiste abondant et bon marché, où les Chinois contrôlent l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement énergétique, l’Europe paie le prix fort de sa transition et de sa dépendance passée au gaz russe.

Conséquence directe : une usine européenne d’ammoniac (base des engrais) coûte parfois trois à quatre fois plus cher à faire tourner qu’une usine équivalente aux États-Unis ou au Qatar.

La réindustrialisation promise… reportée sine die

Depuis 2017, chaque gouvernement français successif a brandi le mot magique : réindustrialisation. Des milliards d’euros d’aides, des discours volontaristes, des plans « France 2030 » à coups de dizaines de milliards. Résultat en 2025 ? La part de l’industrie dans le PIB français continue de baisser.

Le cas Ynsect est cruellement révélateur. Présentée comme la pépite de la foodtech française, soutenue par Bpifrance et des fonds internationaux, l’entreprise devait construire la plus grande ferme d’insectes au monde à Amiens. L’usine est aujourd’hui à l’arrêt, les machines sous scellés, les ambitions réduites à néant.

Les réponses européennes : entre espoirs et effets pervers

Bruxelles n’est pas restée les bras croisés. Un « plan acier » a été présenté pour réduire les quotas d’importation sans droits de douane. Des mesures pour l’automobile sont en préparation. Paris pousse pour une « préférence européenne » exigeant qu’une part significative de la valeur ajoutée des véhicules soit produite sur le continent.

Mais ces réponses font déjà l’objet de vives critiques.

  1. Les industriels utilisateurs d’acier (mécanique, construction) craignent une hausse brutale des prix et une perte de compétitivité
  2. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) pourrait faire exploser le prix des engrais, au risque de mettre en péril l’agriculture européenne
  3. Beaucoup de mesures visent l’amont (acier, produits chimiques) et peuvent être contournées par une simple transformation hors d’Europe

« Ces mécanismes peuvent être contournés par une première transformation hors d’Europe »

Anaïs Voy-Gillis

Vers un réveil brutal ou une lente agonie ?

L’Europe se trouve à un carrefour historique. Continuer avec les règles actuelles revient à accepter une désindustrialisation accélérée. Changer radicalement de logiciel – baisse temporaire des contraintes environnementales, aides massives, protectionnisme assumé – fait hurler une partie de l’opinion et des partenaires commerciaux.

Ce qui est certain, c’est que le temps presse. Chaque usine qui ferme, chaque technologie qui part en Asie ou aux États-Unis rend le retour plus difficile. L’année 2025 pourrait bien être celle du point de non-retour.

Car derrière les chiffres et les plans bruxellois, il y a des milliers d’emplois, des territoires entiers qui se vident, des savoir-faire qui disparaissent. Et une question lancinante : l’Europe acceptera-t-elle enfin de se battre avec les mêmes armes que ses concurrents, ou préférera-t-elle rester fidèle à ses principes… au prix de son rang industriel mondial ?

La réponse, dans les prochains mois, déterminera le visage économique du continent pour les décennies à venir.

Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.