Comment un simple écrivain peut-il devenir le symbole d’une crise diplomatique majeure entre deux nations ? L’histoire de Boualem Sansal, écrivain franco-algérien de 80 ans, illustre parfaitement ce paradoxe. Arrêté à Alger en novembre 2024, il fait face à une peine de dix ans de prison pour des déclarations jugées controversées sur les frontières héritées de la colonisation. Cette affaire, loin d’être un simple fait divers, met en lumière des tensions profondes entre l’Algérie et la France, exacerbées par des divergences historiques et politiques. Plongeons dans ce dossier brûlant, où se mêlent liberté d’expression, histoire coloniale et enjeux géopolitiques.
Un Écrivain au Cœur de la Tempête
Boualem Sansal, connu pour ses œuvres littéraires audacieuses comme 2084 : la Fin du monde, n’est pas un inconnu dans le paysage culturel. Cet écrivain, lauréat de prix prestigieux, s’est souvent exprimé sur des sujets sensibles, mêlant histoire, politique et littérature. Mais cette fois, ses propos tenus en octobre 2024 lors d’une interview avec un média français ont déclenché une tempête judiciaire. En déclarant que l’Algérie avait hérité, sous la colonisation française, de territoires appartenant autrefois au Maroc, Sansal a touché un point sensible : l’unité nationale algérienne, un sujet sacro-saint dans un pays marqué par son passé colonial.
Le Parquet algérien n’a pas tardé à réagir. Lors de son procès en première instance, en mars 2025, Sansal a été condamné à cinq ans de prison pour des chefs d’accusation graves : atteinte à l’unité nationale, outrage à corps constitué, et même menace à la sécurité de l’État. Insatisfait de cette peine, le procureur a requis une sentence encore plus lourde en appel : dix ans de réclusion et une amende de 6 600 euros. Le verdict, attendu le 1er juillet 2025, pourrait sceller le destin de l’écrivain.
« C’est de la littérature. La Constitution algérienne garantit la liberté d’expression et de conscience. Cela n’a pas de sens », a déclaré Boualem Sansal lors de son audience en appel.
Une Audience sous Haute Tension
L’audience en appel, qui s’est déroulée le 24 juin 2025 devant la Cour d’appel d’Alger, a duré à peine vingt minutes. Sans avocat pour le défendre, Boualem Sansal s’est présenté seul, affichant une détermination remarquable malgré son âge et sa santé fragile – il souffre d’un cancer de la prostate, selon ses proches. Face à la magistrate, il a défendu ses propos avec aplomb, insistant sur le fait que ses déclarations relevaient de la littérature et non d’une volonté de nuire à l’Algérie.
« La Constitution décrète la liberté d’expression, et on fait un procès pour de la littérature. Où est-ce qu’on va comme ça ? » a-t-il lancé, mettant en avant un principe fondamental : le droit de s’exprimer librement. Pourtant, ses mots n’ont pas semblé apaiser le Parquet, qui voit dans ses déclarations une atteinte directe à l’intégrité territoriale du pays. Cette confrontation illustre un débat plus large : où se situe la frontière entre liberté d’expression et respect des sensibilités nationales ?
Un Contexte Diplomatique Explosif
L’affaire Sansal ne se limite pas à une bataille judiciaire. Elle s’inscrit dans une crise diplomatique majeure entre l’Algérie et la France, considérée comme l’une des plus graves depuis la guerre d’indépendance (1954-1962). Tout a commencé à l’été 2024, lorsque le président français Emmanuel Macron a publiquement soutenu un plan d’autonomie pour le Sahara occidental sous souveraineté marocaine, une position qui a provoqué la colère d’Alger. Ce territoire, revendiqué à la fois par le Maroc et les indépendantistes du Polisario soutenus par l’Algérie, est un point de friction historique.
Depuis cette déclaration, les relations entre les deux pays se sont détériorées. Expulsions de diplomates, gel des coopérations bilatérales, et désormais l’affaire Sansal : chaque événement semble ajouter une couche de tension. La France, de son côté, a multiplié les appels à la libération de l’écrivain. En mai 2025, l’Assemblée nationale française a même adopté une résolution exigeant sa libération immédiate et conditionnant toute coopération renforcée avec l’Algérie au respect des droits humains.
Les chefs d’accusation contre Boualem Sansal :
- Atteinte à l’unité nationale
- Outrage à corps constitué
- Pratiques nuisibles à l’économie nationale
- Détention de contenus menaçant la sécurité
Liberté d’Expression : Un Combat Universel
Le cas de Boualem Sansal soulève une question essentielle : jusqu’où peut-on aller dans la défense de la liberté d’expression ? Lors de son audience, l’écrivain a rappelé que ses propos s’inscrivaient dans une réflexion historique, et non dans une démarche politique. « Je ne fais pas que de la politique. Je m’exprime aussi sur l’histoire », a-t-il affirmé, soulignant que les frontières de l’Algérie, tracées sous la colonisation française à partir de 1830, ont été sanctifiées par l’Union africaine après l’indépendance de 1962.
Pourtant, en Algérie, où l’histoire coloniale reste une plaie ouverte, ces déclarations ont été perçues comme une provocation. Les autorités estiment qu’elles remettent en question l’intégrité territoriale, un sujet particulièrement sensible dans un pays qui a lutté pour son indépendance. Cette affaire met en lumière un dilemme : comment concilier le droit à la liberté d’expression avec le respect des symboles nationaux ?
« La France a créé les frontières, mais heureusement, après l’indépendance, l’Union africaine a décrété que ces frontières héritées de la colonisation étaient intangibles. » – Boualem Sansal
Un Symbole de Résistance Littéraire
Boualem Sansal n’est pas seulement un écrivain ; il est devenu un symbole. Ses œuvres, souvent critiques envers les dérives autoritaires, lui ont valu une reconnaissance internationale, mais aussi des inimitiés dans son pays natal. Malgré son arrestation et sa maladie, il continue de défendre ses idées avec une fermeté qui force l’admiration. Ses proches, notamment ses deux filles, Nawal et Sabeha, installées en République tchèque, ont exprimé leur désarroi face à cette situation. « C’est un sentiment d’impuissance totale », ont-elles confié, dénonçant une justice qui emprisonne pour une simple opinion.
À l’international, le soutien à Sansal ne faiblit pas. En France, l’académicien Daniel Rondeau a salué son courage lors de la remise du prix Cino Del Duca, espérant que cette distinction lui serve de « viatique » pour retrouver sa liberté. Ce prix, décerné à l’écrivain pour l’ensemble de son œuvre, souligne l’importance de son combat pour la liberté d’expression et la défense des idées.
Vers une Grâce Présidentielle ?
Alors que le verdict en appel approche, les regards se tournent vers le président algérien, Abdelmajid Tebboune. Une grâce présidentielle, potentiellement à l’occasion de la fête de l’indépendance le 5 juillet 2025, est espérée par les proches de Sansal. Mais jusqu’à présent, les demandes répétées de la France, y compris celles du président Macron, sont restées sans réponse. Cette affaire, devenue un symbole des tensions entre les deux pays, pourrait-elle ouvrir la voie à une réconciliation ? Ou, au contraire, enfoncer davantage le coin entre Alger et Paris ?
Le sort de Boualem Sansal dépasse désormais le cadre de son procès. Il incarne les défis auxquels sont confrontés les intellectuels dans des contextes politiquement sensibles. Sa situation rappelle que la littérature, loin d’être un simple divertissement, peut devenir une arme puissante, capable de bousculer les certitudes et de provoquer des débats essentiels.
Événement | Date | Détail |
---|---|---|
Arrestation de Sansal | 16 novembre 2024 | Soupçons d’atteinte à l’intégrité territoriale |
Condamnation en première instance | 27 mars 2025 | Cinq ans de prison |
Audience en appel | 24 juin 2025 | Requête de 10 ans de prison |
Verdict attendu | 1er juillet 2025 | Décision finale de la Cour d’appel |
Un Débat qui Dépasse les Frontières
L’affaire Boualem Sansal ne concerne pas seulement l’Algérie et la France. Elle pose des questions universelles sur la place des intellectuels dans les sociétés contemporaines. Dans un monde où les sensibilités nationales et les héritages historiques restent des sujets brûlants, comment protéger la liberté de penser et d’écrire ? L’écrivain, par ses mots, a ouvert une brèche dans le débat public, forçant chacun à réfléchir aux limites de la liberté d’expression.
En attendant le verdict, les soutiens de Sansal, qu’ils soient en France, en Algérie ou ailleurs, continuent de se mobiliser. Son cas pourrait devenir un précédent, soit pour renforcer la répression des voix dissidentes, soit pour ouvrir la voie à une réflexion plus large sur les droits fondamentaux. Une chose est sûre : Boualem Sansal, par son courage et sa plume, reste au cœur d’un combat bien plus grand que lui.