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Crise du Logement : Les Jeunes Italiens en Exil

À Milan, les loyers engloutissent les salaires des jeunes. Partir à l’étranger devient la seule issue. Quelle est leur réalité ?

Imaginez-vous à 26 ans, fraîchement diplômé, prêt à conquérir une grande ville comme Milan, la capitale économique de l’Italie. Vous décrochez un emploi prometteur, mais votre salaire peine à couvrir un loyer qui dévore la moitié de vos revenus. Cette réalité, c’est celle de milliers de jeunes Italiens, confrontés à une crise du logement et à des salaires qui ne suivent pas l’envolée des prix. Leur rêve de réussite se transforme en exil forcé, loin de leur pays natal.

Une Génération Prise au Piège des Loyers

Dans les grandes villes italiennes, comme Milan ou Rome, les loyers ont atteint des sommets vertigineux. À Milan, la ville la plus coûteuse du pays, les prix des locations ont grimpé de 20 % entre janvier 2020 et janvier 2025, selon les données d’un site spécialisé dans l’immobilier. À Rome, la situation est encore plus alarmante, avec une hausse de 40 % sur la même période. Cette flambée, amplifiée par l’inflation post-Covid et la hausse des taux d’intérêt, a transformé le logement en un luxe inaccessible pour beaucoup.

Pourtant, les salaires, eux, restent désespérément à la traîne. L’Italie est le pays de l’OCDE qui a le moins ajusté les rémunérations à l’inflation récente. Entre 2021 et 2024, les Italiens ont vu leur pouvoir d’achat reculer de près de 7,5 %, soit l’équivalent d’un mois de salaire par an. Cette déconnexion entre revenus et coût de la vie touche particulièrement les jeunes, qui se retrouvent à jongler avec des budgets toujours plus serrés.

“Je pensais que Milan m’offrirait de meilleures opportunités, mais mon loyer engloutit la moitié de mon salaire.”

Stefano, 26 ans, programmeur informatique

Le Rêve Brisé des Jeunes Travailleurs

Prenez l’exemple de Stefano, un jeune programmeur de 26 ans. Après des études à Rome, il s’installe à Milan, espérant y trouver un salaire à la hauteur de ses ambitions. Mais la réalité le rattrape vite : 1 500 euros nets par mois pour son premier poste, puis 2 000 euros après un changement d’entreprise. Bien que ce salaire le place dans le top 10 % des revenus italiens, il ne suffit pas. Son loyer, qui a bondi de 30 % en un an, absorbe une part écrasante de ses revenus.

Comme Stefano, beaucoup de jeunes Italiens se sentent trahis par un système économique qui ne leur offre pas de perspectives. Davide, 27 ans, également dans l’informatique, gagne 2 200 euros nets par mois après cinq ans d’expérience. “Je sais que je ne pourrai jamais m’offrir une maison, ni à Milan, ni à Rome”, confie-t-il. Cette résignation est partagée par toute une génération, coincée entre des salaires modestes et un marché immobilier impitoyable.

En chiffres :

  • Augmentation des loyers à Milan : +20 % (2020-2025)
  • Augmentation des loyers à Rome : +40 % (2020-2025)
  • Perte de salaire réel en Italie : -7,5 % (2021-2024)

Une Émigration Forcée

Face à cette situation, beaucoup choisissent de quitter l’Italie. Depuis 2013, plus d’un million d’Italiens ont émigré, et les jeunes diplômés sont particulièrement nombreux à franchir le pas. Stefano, par exemple, s’est installé en Belgique il y a deux mois. “En Wallonie, mon salaire a doublé, et mes dépenses quotidiennes sont restées les mêmes”, explique-t-il. Il n’envisage pas de revenir en Italie, un choix partagé par beaucoup d’autres.

Cette “fuite des cerveaux” n’est pas nouvelle, mais elle s’accélère. En 2022, selon l’institut national des statistiques italien, le nombre de jeunes diplômés ayant quitté le pays était deux fois plus élevé qu’il y a dix ans. Les destinations privilégiées ? La Belgique, l’Allemagne, ou encore le Royaume-Uni, où les salaires sont plus élevés et le coût de la vie plus abordable.

“Les jeunes Italiens ne restent pas chez leurs parents par choix, mais parce que les salaires sont trop bas.”

Davide, 27 ans, informaticien

Pourquoi les Salaires Stagnent-ils ?

Pour comprendre cette crise, il faut se pencher sur les causes structurelles. En Italie, les salaires réels n’ont cessé de reculer depuis 1991, contrairement à des pays comme la France ou l’Allemagne, où ils ont progressé de plus de 30 %. Parmi les raisons souvent évoquées : une productivité stagnante, liée à la prédominance d’entreprises de petite taille, souvent concentrées dans des secteurs à faible valeur ajoutée comme le tourisme ou le bâtiment.

Le tourisme, souvent qualifié de “pétrole de l’Italie”, illustre ce paradoxe. S’il génère des revenus, il crée surtout des emplois précaires et mal payés. Les jeunes, même diplômés, peinent à trouver des postes à la hauteur de leurs qualifications. “Il y a 30 ans, les jeunes actifs gagnaient plus que les retraités. Aujourd’hui, ils gagnent 13 % de moins”, souligne Andrea Garnero, économiste à l’OCDE et co-auteur de l’ouvrage La Questione salariale.

Pays Évolution salaires réels (1991-2024)
Italie Régression
France/Allemagne +30 %

L’Immobilier : Une Compensation Familiale

Alors, comment les Italiens font-ils face à cette crise ? Pour beaucoup, la réponse réside dans les transferts familiaux. “Beaucoup vivent dans des appartements hérités de leurs parents ou grands-parents, ce qui compense les bas salaires”, explique Andrea Garnero. Sans ces logements familiaux, nombreux seraient ceux qui ne pourraient se permettre qu’un petit studio de 10 m² dans une grande ville.

Cette dépendance à l’immobilier familial alimente un autre phénomène : la location touristique. À Rome, 4,5 % des logements du centre historique sont dédiés à des plateformes comme Airbnb, malgré les efforts des autorités pour réguler le secteur. “Il est plus rentable de louer un appartement hérité sur Airbnb que de travailler”, regrette Garnero. Ce modèle économique renforce l’idée qu’en Italie, l’immobilier prime sur le travail.

Un Manque de Logements Neufs

La crise du logement ne se limite pas aux loyers élevés. En 2023, la construction de nouveaux logements en Italie a atteint un plus bas historique, avec moitié moins de projets qu’en 2010. De plus, 93 % des logements datent d’avant 2001, selon l’institut national des statistiques. Ce manque de renouvellement aggrave la pénurie, surtout dans les grandes villes où la demande explose.

Les mairies, comme celle de Rome, réclament plus de pouvoirs pour réguler le marché immobilier, mais les solutions tardent à venir. En attendant, les jeunes Italiens continuent de vivre chez leurs parents bien plus longtemps que leurs homologues européens, jusqu’à 30 ans en moyenne, selon Eurostat. Ce n’est pas un choix de confort, mais une nécessité économique.

Quel Avenir pour l’Italie ?

La situation des jeunes Italiens soulève une question cruciale : comment un pays peut-il prospérer lorsque sa jeunesse est contrainte à l’exil ? La fuite des cerveaux, la stagnation des salaires et la crise du logement forment un cercle vicieux dont l’Italie peine à sortir. Pour Andrea Garnero, la réponse passe par une réforme profonde du marché du travail et de l’immobilier, mais aussi par un changement de mentalité.

En attendant, des jeunes comme Stefano, Davide ou Salvatore continuent de chercher ailleurs ce que leur pays ne peut leur offrir. Leur départ n’est pas seulement une perte pour l’Italie, mais un signal d’alarme pour une société qui doit repenser son modèle économique. Car, comme le résume si bien Davide : “Nous ne voulons pas rester avec maman, nous voulons simplement vivre dignement.”

Et vous, que feriez-vous face à une telle situation ?

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