Depuis avril 2023, une guerre sanglante ravage le Soudan, opposant l’armée gouvernementale aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR). Ses conséquences sont dramatiques : des dizaines de milliers de morts, plus de 11 millions de déplacés et 26 millions de personnes souffrant de faim aiguë selon l’ONU. Pourtant, face à ce que Jan Egeland, directeur du Norwegian Refugee Council (NRC), qualifie de « plus grande crise humanitaire de la planète », la communauté internationale semble largement indifférente.
Un pays à genoux, un monde qui détourne le regard
De retour d’une visite cette semaine au Soudan, Jan Egeland dresse un constat alarmant lors d’un entretien depuis le Tchad voisin. Il témoigne de scènes déchirantes :
J’ai rencontré des femmes qui survivent à peine, mangeant un repas de feuilles bouillies par jour.
Selon les estimations de son ONG, environ 1,5 million de Soudanais sont au bord de la famine. Malgré les efforts des organisations humanitaires, Jan Egeland déplore que « nos ressources actuelles ne font que retarder les morts au lieu de les prévenir ».
Un écho du drame du Darfour
Cette crise rappelle tragiquement la situation au Darfour il y a vingt ans. Cette vaste région de l’ouest du Soudan avait été le théâtre d’un conflit meurtrier où le gouvernement de Khartoum avait mobilisé des milices tribales arabes contre des minorités non arabes soupçonnées de soutenir une rébellion. Les accusations de génocide avaient alors brièvement attiré l’attention du monde, notamment à travers des campagnes médiatiques impliquant des célébrités comme l’acteur George Clooney.
Ironiquement, les FSR, aujourd’hui en guerre contre l’armée soudanaise, sont les héritières de ces anciennes milices. Jan Egeland s’indigne :
Il est incroyable qu’on porte aujourd’hui beaucoup moins d’attention à la crise du Soudan qu’il y a 20 ans pour le Darfour, alors que cette crise était bien moins grave.
Une crise éclipsée sur la scène internationale
Pour le directeur du NRC, ce désintérêt s’explique en partie par les nombreux autres conflits qui accaparent l’actualité internationale, comme les guerres à Gaza, au Liban ou entre la Russie et l’Ukraine. Mais il pointe aussi un changement plus profond dans les mentalités, avec des dirigeants occidentaux privilégiant désormais des politiques centrées sur leurs intérêts nationaux à court terme.
Jan Egeland met en garde contre les conséquences de ce repli. Au Tchad, il a rencontré de jeunes rescapés des violences ethniques au Darfour qui envisagent désormais la périlleuse traversée de la Méditerranée vers l’Europe. Selon lui, les dirigeants « ayant une vision à court terme » devront faire face à ces vagues de réfugiés et de migrants.
Le Darfour à nouveau dans l’œil du cyclone
Au Soudan, une personne sur cinq a été déplacée par ce conflit ou ceux qui l’ont précédé. La plupart se concentrent au Darfour, où la situation ne cesse d’empirer selon Jan Egeland. El-Fasher, capitale du Nord-Darfour, est assiégée depuis des mois par les FSR, paralysant l’aide humanitaire. Le camp de déplacés de Zamzam y est même plongé dans la famine.
Même les zones épargnées par les combats sont au bord de la rupture. Dans l’est, contrôlé par l’armée, les camps, écoles et bâtiments publics débordent de déplacés livrés à eux-mêmes. Près de Port-Soudan, où se sont repliés le gouvernement et les agences onusiennes, Jan Egeland a visité une école abritant plus de 3700 déplacés, dont des mères incapables de nourrir leurs enfants.
La faim comme arme de guerre
Selon l’ONU, les deux camps utilisent délibérément la faim comme arme. Les autorités multiplient les obstacles bureaucratiques pour bloquer l’accès des humanitaires, tandis que les paramilitaires les menacent ou les attaquent. Jan Egeland souligne la gravité de la situation :
Chaque retard, chaque camion bloqué, chaque autorisation retardée est une condamnation à mort pour les familles qui ne peuvent attendre un jour de plus pour obtenir de la nourriture, de l’eau et un abri.
Un appel à la mobilisation
Malgré ces entraves, le directeur du NRC assure qu’il reste « possible d’atteindre tous les coins du Soudan ». Il appelle à une augmentation des financements et à davantage de « courage » de la part des ONG. Selon lui, ces dernières cèdent trop facilement aux pressions et aux menaces des parties au conflit.
Jan Egeland exhorte l’ONU et les autres agences à « être plus fermes et exiger l’accès » aux populations dans le besoin. Son cri d’alarme résonnera-t-il au sein d’une communauté internationale jusqu’ici largement passive face au drame soudanais ? De la réponse à cette question dépend le sort de millions de civils pris au piège d’une guerre impitoyable.