Dans les rues poussiéreuses d’Antananarivo, un cri de colère résonne. Depuis deux semaines, la capitale de Madagascar, île de l’océan Indien marquée par une pauvreté endémique, est le théâtre d’un mouvement populaire d’une ampleur rare. Des milliers de citoyens, portés par une indignation collective, se rassemblent pour dénoncer un système qu’ils jugent défaillant. Mais cette révolte, née d’un ras-le-bol face aux coupures d’eau et d’électricité, a pris une tournure plus vaste, visant directement le pouvoir en place. Face à eux, une réponse sécuritaire musclée : gaz lacrymogènes, balles en caoutchouc et arrestations. Que se passe-t-il à Madagascar, et pourquoi cette colère ne faiblit-elle pas ?
Un Mouvement Né d’une Exaspération Quotidienne
À l’origine de cette vague de protestations, un constat simple mais accablant : les habitants d’Antananarivo, comme dans d’autres régions de Madagascar, vivent dans des conditions difficiles, marquées par des coupures fréquentes d’eau et d’électricité. Ces interruptions, loin d’être anecdotiques, rythment le quotidien et entravent les activités essentielles, de la cuisine à l’éducation. Ce mécontentement, initialement pragmatique, s’est rapidement transformé en une critique plus large du système politique et économique du pays.
Heritiana Rafanomezantsoa, un manifestant de 35 ans, résume l’état d’esprit :
« Depuis l’indépendance en 1960, notre vie n’a pas changé. Le problème, c’est le système. On vit toujours dans la galère. »
Ces mots, criés dans la foule, traduisent une frustration partagée par une population dont 80 % vit sous le seuil de pauvreté, fixé à 15 000 ariary par jour (environ 2,80 euros) par la Banque mondiale. Cette réalité, combinée à un sentiment d’abandon par les élites, a donné naissance au mouvement Gen Z, fer de lance de la contestation.
Une Répression Violente dans la Capitale
Jeudi, les rues d’Antananarivo ont été le théâtre de scènes chaotiques. Dès la mi-journée, un rassemblement près du lac d’Anosy a été dispersé par un usage massif de gaz lacrymogènes. Les forces de l’ordre, équipées d’engins blindés, n’ont pas hésité à charger les manifestants, provoquant des heurts violents. Des balles en caoutchouc et des grenades assourdissantes ont blessé plusieurs personnes, dont certaines ont nécessité des soins urgents.
Un incident particulièrement marquant s’est produit dans le quartier d’Anosibe, où un homme, poursuivi par les forces de sécurité, a été roué de coups et laissé inanimé au sol. La Croix-Rouge a dû intervenir pour l’évacuer. Ailleurs, des gaz lacrymogènes ont pénétré une maternité, obligeant le personnel à déplacer des bébés prématurés pour leur sécurité. Ces images, relayées par des témoins, ont amplifié la colère des manifestants.
Bilan humain : Selon des organisations médicales comme SOS Médecin et Medikelly, au moins quatre personnes ont été blessées par des balles en caoutchouc, dont une nécessitant des points de suture, et deux autres par des fragments de grenades assourdissantes.
Un Mouvement Qui S’Étend et Persiste
Si Antananarivo est l’épicentre de la contestation, le mouvement ne se limite pas à la capitale. À Toliara, dans le sud du pays, des centaines de personnes ont également défilé, preuve que la colère dépasse les frontières urbaines. Ce soulèvement, qui a débuté il y a deux semaines, est déjà considéré comme l’un des plus importants depuis 1997, selon les données d’une ONG spécialisée dans le suivi des troubles sociaux.
Le mouvement Gen Z, porté par une jeunesse désabusée, ne montre aucun signe d’essoufflement. Malgré une répression accrue, les manifestants continuent de se rassembler, défiant les gaz lacrymogènes et les arrestations. Leur détermination s’explique par un sentiment d’injustice profond, renforcé par des promesses non tenues de la part du pouvoir.
Un Pouvoir Sous Pression
Face à cette crise, le président Andry Rajoelina, au pouvoir depuis 2009 avec une interruption entre 2014 et 2018, tente de reprendre la main. Après avoir dissous son gouvernement pour apaiser les tensions, il vient de nommer un nouveau Premier ministre, le général Ruphin Zafisambo, un militaire peu connu du grand public. Cette nomination, accompagnée de nouveaux ministres aux portefeuilles de la Défense, de la Sécurité publique et de la Gendarmerie, envoie un message clair : le pouvoir privilégie une réponse sécuritaire.
Mais cette stratégie semble contre-productive. Niaina Ramangason, étudiant de 20 ans, exprime un sentiment partagé par beaucoup :
« Le président est égoïste, il fait des promesses mais il ne les réalise pas. Je n’y crois plus. »
Les récentes déclarations du président, qualifiant les victimes des manifestations de « pilleurs » ou de « casseurs », ont jeté de l’huile sur le feu. Selon un bilan de l’ONU datant du 29 septembre, au moins 22 personnes auraient perdu la vie dans les manifestations, un chiffre contesté par le chef de l’État, qui évoque 12 décès.
Une Dérive Militaire Inquiétante
Plus de 200 organisations de la société civile malgache ont exprimé leur préoccupation face à ce qu’elles qualifient de « dérive militaire » dans la gouvernance du pays. La nomination d’un général au poste de Premier ministre, combinée à la répression violente des manifestations, alimente les craintes d’une militarisation du pouvoir. Cette situation rappelle l’arrivée au pouvoir de Rajoelina en 2009, soutenue par l’armée à la suite d’une mobilisation populaire.
En parallèle, la justice semble également jouer un rôle dans la répression. Cinq manifestants ont été placés en détention provisoire, tandis que 17 autres sont sous contrôle judiciaire, selon un collectif d’avocats bénévoles. Cependant, la grève des agents pénitentiaires à la prison d’Antanimora, à Antananarivo, a empêché l’incarcération de ces personnes, illustrant les tensions qui traversent l’ensemble des institutions du pays.
Événement | Conséquences |
---|---|
Manifestations à Antananarivo | Blessures par balles en caoutchouc, gaz lacrymogènes, arrestations |
Répression à Anosibe | Un homme roué de coups, évacué par la Croix-Rouge |
Gaz lacrymogènes près d’une maternité | Déplacement de bébés prématurés |
Une Société au Bord de l’Explosion
Derrière cette contestation, c’est tout un système socio-économique qui est pointé du doigt. À Madagascar, où la majorité de la population vit avec moins de 2,80 euros par jour, les inégalités et la précarité alimentent un sentiment d’injustice. Les coupures d’eau et d’électricité ne sont que la partie visible d’un problème plus profond : un État perçu comme déconnecté des réalités de ses citoyens.
Le mouvement Gen Z, bien que porté par la jeunesse, trouve un écho dans toutes les tranches de la société. Des lycées publics de la capitale ont rejoint le mouvement, avec des enseignants en grève, tandis qu’un appel à une grève générale a été lancé, bien que son suivi reste difficile à évaluer. Cette mobilisation, qui transcende les générations, illustre l’ampleur du mécontentement.
Vers une Crise Durable ?
Alors que les manifestations se poursuivent, la question se pose : jusqu’où ira cette crise ? Le président Rajoelina, réélu en 2023 dans un scrutin boycotté par l’opposition, semble jouer la carte de la fermeté, mais cette stratégie pourrait exacerber les tensions. La nomination d’un gouvernement à dominante militaire, loin d’apaiser les esprits, renforce le sentiment d’une gouvernance autoritaire.
Pourtant, les manifestants ne semblent pas prêts à reculer. Leur détermination, portée par une jeunesse qui refuse de se résigner, pourrait transformer ce mouvement en un tournant pour Madagascar. Mais à quel prix ? Entre répression, arrestations et blessés, le pays se trouve à un carrefour, où chaque décision du pouvoir pourrait soit apaiser, soit enflammer davantage la situation.
Points clés à retenir :
- Des milliers de manifestants dénoncent les coupures d’eau et d’électricité.
- La répression violente a fait des blessés et des arrestations.
- Le mouvement Gen Z cible un système jugé défaillant.
- La nomination d’un Premier ministre militaire suscite des inquiétudes.
- 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.
À Antananarivo, les fumées des gaz lacrymogènes se dissipent, mais la colère, elle, persiste. Ce soulèvement, bien plus qu’une simple protestation contre des coupures de services, est un cri pour une justice sociale et politique. Madagascar, à la croisée des chemins, attend des réponses. La suite des événements dira si ce mouvement marquera un tournant ou s’enlisera dans la répression.