Dans les rues vallonnées d’Antananarivo, la capitale de Madagascar, l’air est lourd. Depuis plusieurs jours, des centaines de personnes défilent, portées par une colère profonde face aux coupures d’électricité et d’eau qui paralysent leur quotidien. Ce mouvement, né d’un ras-le-bol généralisé, s’est transformé en un véritable cri de ralliement contre le pouvoir en place, visant directement le président Andry Rajoelina. Alors que l’annonce d’un nouveau Premier ministre est attendue ce lundi soir, la tension reste palpable. Que se passe-t-il dans ce pays de l’océan Indien, et pourquoi la situation semble-t-elle au bord de l’explosion ?
Une Crise aux Racines Profondes
Ce qui a commencé comme une protestation contre les défaillances des services publics s’est rapidement mué en un mouvement politique d’ampleur. Depuis le 25 septembre, les habitants de Madagascar, épuisés par les coupures d’électricité pouvant atteindre 120 heures par semaine pour certains, ont pris la rue. Ces interruptions, loin d’être anecdotiques, entravent la vie quotidienne, des petits commerces aux foyers modestes. L’eau, ressource vitale, manque également, aggravant le sentiment d’abandon ressenti par une population déjà confrontée à une pauvreté endémique.
Tommy, un jeune magasinier de 21 ans, incarne cette frustration. « Le président n’écoute pas la colère des gens d’en bas. Il fait toujours ce qu’il veut », confie-t-il, amer, après avoir perdu son emploi suite au pillage d’une grande surface lors des premières manifestations. Son témoignage reflète un malaise plus large : celui d’un peuple qui se sent ignoré par ses dirigeants.
Des Manifestations sous Haute Tension
Lundi, à Antananarivo, les forces de sécurité ont dispersé deux cortèges de manifestants à coups de grenades assourdissantes et de gaz lacrymogènes. La capitale, fortement militarisée, est devenue le théâtre d’affrontements quasi quotidiens. Un jeune homme d’une vingtaine d’années a été blessé par un projectile, évacué vers l’hôpital principal de la ville. Dans le quartier d’Amparibe, une femme enceinte a également souffert d’une crise spasmodique, victime collatérale des mouvements de foule fuyant les forces de l’ordre.
« L’avenir de ce pays, ça va dépendre de moi, de toi, de nous tous », lance un leader du mouvement, micro en main, galvanisant la foule à Ankatso.
Le quartier universitaire d’Ankatso, point de départ des manifestations, n’est pas choisi au hasard. Il évoque la révolte de 1972, qui avait conduit à la chute du premier président de Madagascar, Philibert Tsiranana. Aujourd’hui, ce lieu symbolique résonne comme un appel à l’action pour une jeunesse en quête de changement.
Un Bilan Humain Controversé
La répression des manifestations a suscité de vives inquiétudes. Selon des chiffres rapportés par les Nations Unies, au moins 22 personnes auraient perdu la vie et une centaine d’autres auraient été blessées depuis le début des troubles. Ce bilan, contesté par les autorités malgaches, alimente les accusations de brutalité portées contre le gouvernement. « On voit bien que la démocratie à Madagascar n’est pas respectée. Ils la détruisent avec brutalité », dénonce un meneur du mouvement.
Dans le sud du pays, à Toliara, la contestation s’est également exprimée. Des images montrent des manifestants brûlant des pneus sur la chaussée, signe que la colère dépasse les frontières de la capitale. Cette mobilisation, bien que désorganisée par moments, témoigne d’un mécontentement généralisé face à un système perçu comme défaillant.
Un Président sous Pression
Face à cette crise, le président Andry Rajoelina se trouve dans une position délicate. Samedi, il a multiplié les consultations avec des représentants du secteur privé et des syndicats, cherchant à apaiser les tensions. Mais pour beaucoup, ces discussions, menées à huis clos, sont insuffisantes. « On ne veut pas qu’il écoute des gens dans son bureau. On veut qu’il descende sur le terrain », insiste Tommy, exprimant un sentiment partagé par de nombreux manifestants.
Le 29 septembre, dans une tentative de désamorcer la crise, le président a limogé l’ensemble de son gouvernement. L’annonce du nouveau Premier ministre, prévue pour ce lundi soir, est désormais attendue comme un moment clé. Mais suffira-t-elle à calmer la colère populaire ? Rien n’est moins sûr, tant le mouvement semble avoir dépassé les seules revendications matérielles pour s’attaquer au cœur du pouvoir.
Une Médiation en Vue ?
Dans ce climat tendu, le Conseil chrétien des Églises de Madagascar (FFKM) s’est proposé comme médiateur entre le pouvoir et les contestataires. Cette initiative, bien que saluée, reste pour l’instant sans effet concret. Les manifestants, eux, ne montrent aucun signe d’essoufflement. « On continuera jusqu’à ce qu’on obtienne un résultat », promet Tommy, déterminé à poursuivre la lutte.
Les chiffres clés de la crise
- 12 jours : durée du mouvement de protestation.
- 120 heures : coupures d’électricité hebdomadaires pour certains foyers.
- 22 morts : bilan rapporté par l’ONU, contesté par les autorités.
- 100 blessés : estimation des victimes des affrontements.
Les Enjeux d’une Crise Multidimensionnelle
La crise actuelle à Madagascar ne se limite pas à des revendications matérielles. Elle met en lumière des failles structurelles profondes : une pauvreté chronique, un accès limité aux services de base et un sentiment d’injustice face à un pouvoir perçu comme déconnecté. Les coupures d’électricité, bien que déclencheurs, ne sont que la partie visible d’un malaise plus large.
Le mouvement, porté par une jeunesse désabusée, rappelle les soulèvements historiques qui ont marqué l’histoire de Madagascar. La révolte de 1972, partie du même quartier d’Ankatso, avait conduit à un changement de régime. Aujourd’hui, les manifestants semblent vouloir écrire une nouvelle page, exigeant non seulement des solutions immédiates, mais aussi une refonte du système politique.
Quel Avenir pour Madagascar ?
Alors que l’annonce du nouveau Premier ministre approche, les regards sont tournés vers le président Rajoelina. Cette nomination, attendue comme une tentative de désamorcer la crise, pourrait au contraire attiser les tensions si elle est perçue comme un simple replâtrage. Les manifestants, galvanisés par leur nombre et leur détermination, semblent prêts à maintenir la pression.
Dans un pays où la démocratie est régulièrement mise à l’épreuve, cette crise pourrait marquer un tournant. Mais pour l’heure, les rues d’Antananarivo restent le théâtre d’une lutte où se mêlent espoirs, frustrations et incertitudes. L’avenir de Madagascar, comme l’a si bien dit un leader du mouvement, dépendra de la capacité de chacun à se faire entendre.
Madagascar se tient à un carrefour. Entre colère populaire et quête de changement, l’issue reste incertaine.